À l'heure où le Maroc amorce une nouvelle séquence électorale, la réforme du cadre régissant la Chambre des représentants vient d'atteindre une étape clé. Adopté en commission parlementaire, le projet de loi organique n° 27.11 ravive le débat sur la moralisation de la vie politique, l'éligibilité des candidats et l'équité entre partis et indépendants. Entre volontarisme gouvernemental et réserves constitutionnelles, les lignes de fracture s'esquissent. À quelques mois d'échéances électorales clés, la réforme du cadre juridique encadrant la Chambre des représentants aborde un tournant décisif. Jeudi soir, la Commission de l'Intérieur, des Collectivités territoriales, de l'Habitat, de la Politique de la ville et des Affaires administratives a adopté, à la majorité, le projet de loi organique n° 27.11 relatif à la Chambre des représentants. Une adoption marquée par des débats nourris et la présence du ministre de l'Intérieur, Abdelouafi Laftit. Sur les 24 voix exprimées, 19 se sont prononcées pour, une contre et quatre se sont abstenues. Ce texte, structurant pour la vie parlementaire, a donné lieu à une intense activité législative avec 164 amendements déposés par les groupes parlementaires et deux députées non-inscrites, illustrant les tensions et ambitions qui traversent la réforme du système électoral. Le groupe Justice et Développement a présenté 45 amendements, le groupe socialiste-opposition ittihadie 35 et le groupe Progrès et Socialisme 19 amendements. De leur côté, les groupes de la majorité en ont présenté 17. Les députées n'appartenant à aucun groupe ont également présenté des amendements. Il s'agit de Fatima Tamni et Nabila Mounib. Article 6 : la bataille autour de la moralisation Au cœur des discussions, l'article 6, qui fixe les causes d'inéligibilité, a cristallisé les tensions. À cette occasion, les députés de la majorité ont salué les efforts déployés par le gouvernement pour consolider le processus électoral et protéger l'institution législative. Pour leur part, les députés de l'opposition ont souligné «la nécessité de respecter la présomption d'innocence», estimant que l'interdiction de se présenter aux élections et de voter pour les personnes prises en flagrant délit ne doit être prononcée qu'à la suite d'un jugement définitif. Ils ont proposé, à cet égard, d'interdire aux personnes condamnées par un jugement définitif, pour avoir commis un crime ou l'une des infractions prévues dans le projet de loi relatif aux listes électorales, de se présenter aux élections. Ils ont également souligné l'importance d'élargir la lutte contre la corruption en prenant des mesures concrètes pour combattre les différentes formes de corruption électorale et en durcissant les sanctions en cas d'infraction, tout en insistant sur la nécessité de respecter les principes constitutionnels, en particulier le droit à un procès équitable et à la présomption d'innocence. Réagissant aux amendements proposés par les députés, le ministre de l'Intérieur a souligné que les dispositions de l'article 6 constituent la pierre angulaire de la moralisation du processus électoral, estimant qu'il ne faut pas attendre les jugements définitifs en cas de flagrant délit afin de protéger l'institution législative. Une approche que défend le ministre comme une «nécessité pour protéger l'institution législative». «Nous attendons des propositions concrètes des partis pour moraliser le processus électoral», a affirmé Abdelouafi Laftit, soulignant que la Cour constitutionnelle demeure seule compétente pour évaluer la conformité des lois aux principes fondamentaux. Article 11, vers un élargissement des cas de déchéance Autre point de débat : l'article 11, relatif à la déchéance du mandat parlementaire en cas de condamnation après l'élection. Sur proposition du groupe socialiste-opposition ittihadie, le gouvernement a validé un amendement permettant au procureur général de saisir les instances compétentes pour engager la procédure. Une évolution qui introduit un mécanisme plus réactif et institutionnalisé de sanction parlementaire. Indépendants et financement public, un encadrement plus strict L'article 23, portant sur les listes locales de candidats indépendants, a lui aussi fait l'objet de modifications significatives. Le gouvernement a approuvé un amendement introduit par l'opposition socialiste, conditionnant l'octroi du financement public (équivalent à 75% des dépenses électorales) à l'obtention d'au moins 5% des voix exprimées. Objectif : encourager la représentativité réelle et éviter la dispersion des ressources publiques. Un autre amendement majeur, proposé par le groupe Justice et Développement, a été approuvé. Il concerne l'adaptation de la plateforme de candidature électronique aux personnes en situation de handicap. Une mesure saluée comme un pas important vers l'inclusion électorale. Une réforme à la croisée du droit et de la politique Ce projet de loi organique, adopté en commission, n'est encore qu'à mi-parcours : il devra être débattu en séance plénière, où les équilibres politiques pourraient encore faire évoluer certains articles sensibles. Mais l'essentiel est ailleurs : cette réforme donne à voir un tournant dans la conception même du processus électoral au Maroc, tiraillée entre l'exigence d'éthique et les garanties de droit. Elle marque une tentative de rééquilibrer la confiance citoyenne envers les institutions, dans un contexte où les attentes de transparence, de responsabilité et d'inclusivité sont de plus en plus fortes.