En dotant les TPE d'une Charte d'investissement taillée sur mesure, le Maroc ambitionne de redresser un segment vital mais structurellement vulnérable. Financement repensé, garanties renforcées, nouveau scoring, accompagnement élargi… Cette réforme d'envergure suscite des espoirs, mais aussi quelques réserves. C'est acté. La Charte d'investissement destinée aux très petites entreprises entre en vigueur à partir du 1er janvier 2026 et dont les détails viennent d'être dévoilés par Bank Al-Maghrib. Avec ce texte fondateur signé le 4 décembre dernier, le Maroc dote son tissu entrepreneurial le plus fragile d'un cadre cohérent et complet mêlant financement, accompagnement, gouvernance et transformation des pratiques institutionnelles. L'ambition est à la hauteur du défi. Les TPE représentent près de 94% du tissu productif national et constituent le premier vivier d'emplois du pays. Une refonte profonde de l'accès au financement La fragilité structurelle des très petites entreprises est bien connue, accès limité au crédit, procédures complexes, absence de garantie, faible digitalisation, manque d'accompagnement et insuffisance de culture financière. Ces faiblesses freinent leur croissance et alimentent leur taux de mortalité élevé. C'est pour y répondre de manière systémique que les signataires (ministère des Finances, ministère du Commerce, ministère chargé de l'Investissement, Bank Al-Maghrib, Tamwilcom, Maroc PME, GPBM, FNAM, CGEM et FMEF) ont élaboré un cadre unique, partagé mais aussi contraignant sur le plan opérationnel. En effet, le cœur de la Charte repose sur une refonte de l'accès au financement. Les banques et les institutions de microfinance s'engagent à développer une offre de crédit adaptée à toutes les phases de vie des TPE, qu'il s'agisse de la création, du développement ou de l'exploitation, et pour des maturités couvrant le court, le moyen et le long terme. Elles devront également simplifier et digitaliser l'intégralité du parcours de demande de crédit, une demande forte de l'écosystème entrepreneurial marocain et un impératif pour réduire les délais de traitement. La mise en place d'une offre assurancielle spécifique à ce segment, avec des primes bonifiées, vient compléter le dispositif. Elle répond à l'un des obstacles souvent évoqués par les entrepreneurs, celui de la difficulté à sécuriser leurs activités, faute de produits adaptés et abordables. La garantie, un pilier majeur Le régime de garanties constitue l'autre pilier de la réforme. Tamwilcom se voit confier la mission de proposer une offre plus diversifiée, plus souple et plus fluide dans son utilisation. Avec la nouvelle Charte, les garanties deviennent un outil central de la politique d'inclusion financière, permettant aux TPE de surmonter l'absence fréquente de garanties classiques, en particulier pour les jeunes entrepreneurs et les entreprises à activité informelle partiellement régularisée. Bank Al-Maghrib, pour sa part, avait introduit en mars dernier un mécanisme de refinancement dédié aux TPE, proposé à un taux préférentiel. Cette mesure vise à encourager les banques à flécher davantage de liquidités vers ce segment d'entreprises. Elle marque un tournant dans la politique monétaire d'accompagnement du tissu entrepreneurial, en y intégrant explicitement les TPE comme catégorie stratégique. Système de scoring, l'innovation de la charte L'innovation majeure réside toutefois dans la création d'un système national de scoring intégrant des données alternatives. Cette approche permet d'évaluer le risque de crédit en s'appuyant sur des informations non financières comme l'historique de facturation, les flux numériques ou encore le comportement de paiement. Les banques et institutions de microfinance devront mettre à jour leurs dispositifs de notation interne et intégrer les scores issus de ce système, tout en exploitant des technologies avancées, notamment l'intelligence artificielle. Cette modernisation du traitement du risque pourrait profondément transformer la relation entre les TPE et les établissements de crédit. Mais la Charte ne se limite pas uniquement au financement. Elle consacre un chapitre entier à l'accompagnement, considéré comme la condition sine qua non d'une montée en compétences capable de réduire les défaillances précoces. Les banques et les IMF devront proposer un accompagnement couvrant l'ensemble du cycle de vie des TPE, incluant la restructuration des crédits et la gestion des difficultés. La CGEM joue également un rôle déterminant. L'organisation patronale s'engage à sensibiliser ses membres pour intégrer, dans les appels d'offres privés, des clauses favorisant l'accès des TPE aux marchés. Elle devra aussi œuvrer à la réduction des délais de paiement, un des principaux points de tension entre petites et grandes entreprises. La confédération aura également la responsabilité d'organiser des formations techniques, managériales et numériques dans toutes les régions du pays. Une attention particulière est portée à la dimension territoriale. Accompagnement, l'atout gagnant Maroc PME devra finaliser une offre d'accompagnement intégrée incluant les TPE dans ses programmes existants. De son côté, le ministère de l'Investissement, appuyé par les Centres régionaux d'investissement, aura pour mission d'orienter les petites structures vers les dispositifs de soutien prévus par la Charte de l'investissement et ceux proposés par les autres partenaires signataires. L'ensemble compose un écosystème institutionnel repensé pour réduire la fragmentation et améliorer la lisibilité des dispositifs. L'éducation financière n'est pas en reste. BAM mettra à disposition des services d'information, facilitera le traitement des réclamations et orientera les entrepreneurs vers les interlocuteurs pertinents. La Fondation marocaine pour l'éducation financière (FMEF) doit, quant à elle, adapter ses programmes aux spécificités des TPE, diffuser un kit pédagogique dédié et former les conseillers désignés au sein des banques et IMF. Gouvernance, un pilotage renforcé Côté gouvernance, l'exécution de la Charte repose sur la création d'un comité TPE chargé du suivi de la mise en œuvre, de l'identification des obstacles et de la formulation de recommandations. BAM en assurera le secrétariat. Une plateforme digitale servira d'outil de coordination entre les institutions. Chaque partie devra transmettre un reporting régulier sur les financements accordés et les actions d'accompagnement menées. Un rapport annuel viendra rendre compte des avancées, jetant les bases d'une culture nouvelle de transparence et d'évaluation. In fine, la Charte apparaît comme une tentative de réponse globale à des défis longtemps identifiés mais rarement traités de manière intégrée. Si sa mise en œuvre sera scrutée de près, elle marque d'ores et déjà une volonté politique affirmée d'appuyer les très petites entreprises, souvent confinées aux marges de l'économie formelle. Rappelons que pour propulser ce tissu économique, bon nombre de programmes gouvernementaux ont été lancés, lesquels ont été voués à l'échec. C'est dans ce contexte que les réserves exprimées par Abdellah El Fergui, président de la Confédération marocaine de la TPE-PME, prennent une résonance particulière. Selon lui, la Charte a été conçue «avec le patronat qui ne représente pas le tissu économique concerné». Et d'ajouter : «A l'instar des programmes antérieurs, la confédération ne fait pas l'objet de concertation avec les pouvoirs publics. À mon sens, il aurait été plus judicieux de renforcer davantage les programmes existants au lieu de procéder à de nouvelles signatures. Car l'accès au financement et les garanties demeurent les principaux obstacles, d'où notre proposition de créer une banque d'Etat qui finance et accompagne les TPME, à l'image d'autres pays dont l'idée a fait ses preuves», insiste-t-il. El Fergui ne manque pas d'exprimer sa crainte quant à la réussite de la Charte. Pour lui, ce sont les PME qui tireront profit du dispositif, au détriment des TPE, les plus vulnérables du tissu productif. L'enjeu désormais dépasse largement la seule logique économique. Il touche à la cohésion sociale, à l'équité territoriale et à la promesse d'un développement plus inclusif. Reste à traduire ces engagements ambitieux en résultats concrets pour les milliers d'entrepreneurs qui attendent une reconnaissance institutionnelle à la mesure de leur contribution à l'économie nationale. Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO