Directrice des opérations à l'Office national du conseil agricole (ONCA) Directrice des opérations à l'Office national du conseil agricole (ONCA), Majda Boubnan revient sur la façon dont l'institution rapproche la recherche scientifique du terrain, en particulier des petites exploitations. Vous travaillez depuis plusieurs années sur le conseil agricole et le transfert technologique au profit des petits agriculteurs. Quel bilan en tirez-vous? Notre enjeu a toujours été de rendre l'innovation accessible et de traduire les avancées de la recherche en solutions concrètes pour l'agriculteur. C'est, en substance, le cœur de métier de l'ONCA. Nous assurons le lien entre les laboratoires et le terrain, avec un accent particulier sur les petits agriculteurs, qui n'ont ni les moyens financiers ni l'accès à l'information dont disposent les grandes exploitations. Concrètement, comment ce pont entre la recherche et le terrain se matérialise-t-il dans vos actions quotidiennes ? Nous avons développé plusieurs techniques de transfert. Il y a d'abord ce que nous appelons les «écoles au champ» (FFS). Nous introduisons une nouvelle technologie directement sur la parcelle de l'agriculteur et invitons une dizaine ou une quinzaine de voisins pour qu'ils assistent à la démonstration. Ainsi, l'agriculteur apprend en agissant, chez lui, avec ses propres conditions de production. Nous organisons aussi des journées de formation, qui s'apparentent à des cours pratiques. Nous utilisons des supports très visuels, parfois des pictogrammes, parce que tous les agriculteurs n'ont pas la même maîtrise de la lecture. Nous adaptons le langage, en darija, en amazigh, en hassanien, et parfois nous traduisons l'intégralité du message dans ces langues pour le rendre plus compréhensible. Enfin, nous maintenons un contact direct à travers des visites de proximité, certains agriculteurs viennent à nous, mais nous allons aussi chez eux, par petits groupes, pour expliquer les nouvelles pratiques. Quand vous parlez de technologies, de quoi s'agit-il exactement? Le semi-direct est un bon exemple. C'est une technologie issue de la recherche qui permet à la fois d'améliorer les rendements et de préserver les sols. En adoptant le semi-direct, l'agriculteur garde une meilleure matière organique et protège son capital productif. Cette approche a été conçue en laboratoire, puis adaptée aux conditions réelles des exploitations. Nous travaillons aussi sur les nouvelles variétés, notamment des variétés locales élaborées par les centres de recherche. Notre rôle, dans le conseil agricole, est de les faire adopter par les fellah, en montrant leurs performances sur le terrain. Au fond, toutes ces technologies, pratiques culturales, variétés, outils, deviennent pertinentes dès lors qu'elles sont traduites dans la réalité quotidienne de l'exploitation. Quelles sont les principales résistances que vous rencontrez lorsqu'il s'agit de faire adopter ces innovations ? L'agriculteur a un critère central, il veut être sûr que «ça marche» et que c'est rentable. C'est légitime. La préservation du sol ou les notions de conservation des ressources ne lui parlent pas toujours directement. En revanche, si le rendement s'améliore, il est prêt à changer ses pratiques. Notre travail consiste donc à prouver, par l'exemple, que ces technologies améliorent sa production sans le mettre en risque. Une fois qu'il voit les résultats chez lui ou chez son voisin, la confiance s'établit petit à petit. C'est là que les écoles au champ et les démonstrations collectives prennent tout leur sens. Post Plan Maroc Vert, le petit agriculteur reste-t-il attaché à la seule autosuffisance alimentaire ou ses aspirations ont-elles évolué ? L'autosuffisance alimentaire reste importante. L'agriculteur veut d'abord nourrir sa famille. Mais il ne souhaite plus se limiter à cela. Les réseaux sociaux, l'ouverture sur ce qui se passe ailleurs, tout cela a changé son horizon. Il veut améliorer sa qualité de vie, permettre à ses enfants d'étudier dans les grandes villes, accéder à d'autres services. Ses besoins ont donc évolué, ce qui est parfaitement normal. L'agriculteur garde un lien fort avec la terre mais il est en phase avec la modernité. Notre rôle, encore une fois, est de lui montrer qu'en adoptant de nouvelles technologies, il peut à la fois sécuriser sa production et mieux vivre de son travail. Vous travaillez aussi sur des outils numériques liés à l'irrigation. En quoi ces dispositifs changent-ils la donne sur le terrain ? Nous développons un projet qui combine plusieurs technologies, des images satellitaires, des stations météorologiques connectées et des sondes capacitives dans le sol. L'idée est d'aboutir à un service qui envoie à l'agriculteur, par SMS ou via WhatsApp, des messages lui indiquant le moment opportun pour déclencher l'irrigation et les quantités d'eau à apporter. Nous avons commencé dans des zones pilotes comme le Gharb, et nous sommes en train de déployer cette approche à Souss-Massa, puis à l'Oriental. Il y a quelques années, le téléphone portable servait surtout à communiquer. Demain, il deviendra un outil indispensable dans le pilotage des exploitations agricoles. Dans un contexte de stress hydrique, comment accompagnez-vous la transition d'anciens systèmes d'irrigation vers des pratiques plus économes en eau? Les anciens systèmes gravitaires entraînaient beaucoup de pertes d'eau. Les agriculteurs ont pris conscience qu'avec ces modes d'irrigation, ils ne peuvent pas aller loin. Grâce à l'appui de l'Etat et aux mécanismes de soutien, beaucoup ont adopté le goutte-à-goutte. La prochaine étape consiste à ne pas s'arrêter au seul équipement. Nous voulons aller jusqu'au pilotage précis, déclencher l'irrigation au bon moment avec la bonne dose, grâce aux informations envoyées sur leur téléphone. L'objectif est double, leur montrer qu'ils peuvent maintenir de bons rendements et, en même temps, éviter le gaspillage d'eau. Ainsi, cette combinaison entre conseil de proximité et outils technologiques qui peut rendre l'agriculture plus résiliente. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO