Alors que le Royaume affiche des ambitions dans l'hydrogène vert pour lequel il dispose d'atouts solides, notamment en termes de potentiel renouvelable exceptionnel et de position géostratégique, le récent rapport de l'AIE révèle que le pays n'est pas encore perçu comme un acteur significatif sur l'échiquier mondial. Sur le segment de l'hydrogène bas carbone, le rapport «World Energy Employment 2025» de l'AIE suscite une analyse critique concernant le positionnement d'un certain nombre de pays, dont le Maroc. Le document, centré sur la dynamique mondiale de l'emploi dans l'hydrogène bas carbone, dresse un tableau éloquent des progrès réalisés et des moteurs de croissance. Cependant, son silence concernant le Royaume est aussi révélateur que les données qu'il présente. Le rapport souligne une croissance tangible mais encore modeste de l'emploi dans l'hydrogène bas carbone, atteignant 40.000 emplois mondiaux en 2024. La répartition est frappante : l'électrolyse, bien que produisant moins d'hydrogène que le vaporeformage du méthane avec captage (CCUS), concentre près de 90% des emplois actuels, principalement grâce à un «boom de la construction et de la fabrication». Ceci souligne la phase actuelle de déploiement industriel et de montée en puissance manufacturière. «Le matériel manufacturier, la R&D et le développement représentent plus des deux tiers des emplois», indique le rapport, soulignant que la valeur économique réside actuellement davantage dans la construction de la filière que dans son exploitation mature. Un défi monumental La géographie de cette croissance est claire : le Moyen-Orient (notamment l'Arabie Saoudite et son projet Neom à 600 tonnes/jour) ainsi que la Chine (35 projets en 2024, leader mondial de la fabrication d'électrolyseurs avec 60% de part de marché) sont les moteurs principaux. Les Etats-Unis (76 projets attendus d'ici 2030) et l'Union Européenne sont également des acteurs majeurs de la fabrication. Le CCUS appliqué à l'hydrogène fossile connaît aussi une croissance (+5% d'emplois en 2024), mais reste moins générateur d'emplois directs dans l'hydrogène que l'électrolyse en phase de déploiement. L'AIE projette une croissance significative mais très variable de l'emploi dépendant des scénarios. Dans ses scénarios pessimistes (CPS – politiques annoncées / STEPS – politiques actuelles), le secteur pourrait créer entre 46.000 et 58.000 emplois d'ici 2035. En revanche, atteindre les objectifs du scénario de Zéro émission nette (NZE) nécessiterait une croissance annuelle moyenne de 28% des emplois jusqu'en 2035, un rythme comparable à celui du stockage sur batteries ces dernières années. Ce qui impliquerait d'ajouter 208 GW de capacité de production bas carbone. «Un alignement sur la trajectoire NZE nécessiterait d'ajouter 208 GW de capacité d'hydrogène bas carbone, ce qui exigerait une croissance moyenne de l'emploi de 28% par an jusqu'en 2035», résume l'AIE. Un défi monumental qui souligne l'écart entre les ambitions climatiques et la réalité actuelle du déploiement. Un autre point crucial est l'émergence d'initiatives de formation spécifiques. Plusieurs partenariats public-privé ont été fondés en 2024 pour former les travailleurs aux compétences liées à l'hydrogène… Des programmes professionnels ont été conçus par des techniciens expérimentés, des diplômés en ingénierie et d'autres professionnels compétents, notamment en Arabie Saoudite, aux Etats-Unis et au Mexique. La qualification de la main-d'œuvre est identifiée comme un goulot d'étranglement potentiel et devient un champ d'action prioritaire pour les pays leaders. Un silence qui interpelle C'est ici que l'absence totale de mention du Royaume dans ce panorama mondial de l'emploi et des projets dans l'hydrogène bas carbone est un signal fort. Alors que le pays affiche des ambitions dans l'hydrogène vert pour lequel il dispose d'atouts solides (potentiel renouvelable exceptionnel, position géostratégique), le rapport révèle qu'il n'est pas encore perçu comme un acteur significatif sur l'échiquier mondial en 2024, ni en termes de projets concrets générateurs d'emplois, ni comme hub manufacturier ou de compétences, avec des implications immédiates et tangibles pour ses acteurs économiques. Le «retard dans la phase industrielle et manufacturière», est patent face à la domination écrasante de la Chine (concentrant 50% de la main-d'œuvre manufacturière mondiale du secteur et 60% de la production d'électrolyseurs) et à la forte présence de l'UE et des Etats-Unis. Cette structuration accélérée de la chaîne de valeur globale, dominée par des géants déjà établis, réduit drastiquement la fenêtre d'opportunité pour les industriels marocains de capturer des parts de marché significatives. Le risque stratégique et économique majeur pour le Maroc réside dans le scénario d'un cantonnement au rôle de simple fournisseur de ressources renouvelables, sans intégration de la valeur ajoutée industrielle locale. En parallèle, l'absence totale de mention de grands projets structurants au Maroc – alors que des mégaprojets comme Neom en Arabie Saoudite (600 tonnes d'hydrogène par jour), les 35 projets chinois en 2024 ou les 76 projets annoncés aux Etats-Unis d'ici 2030 sont mis en avant comme moteurs clés de l'emploi – est un signal alarmant. Face à la concurrence féroce de régions comme l'UE, l'Australie ou le Japon, citées pour leurs politiques proactives de soutien à la production locale, qui drainent déjà les financements et l'expertise, ce déficit de projets visibles aggrave un déficit critique en compétences et formation. Ceci est mis en lumière par les initiatives concrètes de partenariats public-privé et de centres d'apprentissage communs lancés en 2024 en Arabie Saoudite, aux Etats-Unis et au Mexique, et absents du paysage marocain. Pour les entreprises nationales (futurs opérateurs ou sous-traitants) et pour la main-d'œuvre locale, cela se traduit par un risque imminent de pénurie aiguë de compétences spécifiques au moment du démarrage effectif des projets. Sans un plan massif, concret et co-construit avec l'industrie («programmes conçus par des techniciens expérimentés et des ingénieurs»), le pays s'expose à une dépendance accrue à l'expertise étrangère, limitant fortement la création d'emplois locaux qualifiés et durables. Enfin, l'enjeu crucial du financement et de la compétitivité devient plus pressant. La concentration des flux de capitaux verts vers les régions où les projets sont les plus avancés et les politiques de soutien les plus tangibles (UE, Australie, Japon) est un constat clair. Le rythme de croissance annuelle moyen de 28% des emplois requis jusqu'en 2035 pour atteindre les objectifs du scénario NZE, nécessitant 208 GW de capacités additionnelles, exige des investissements colossaux et constants. Le silence du rapport sur le Maroc suggère que le pays n'est pas encore perçu par les investisseurs internationaux spécialisés comme un marché prioritaire ou suffisamment mature. Dans un contexte mondial où la concurrence pour les capitaux verts ne cesse de s'intensifier, l'ensemble de ces facteurs crée une pression sans précédent sur tous les acteurs pour accélérer la transition des ambitions vers l'action industrielle et financière concrète. Le Maroc pas encore identifié comme un pôle manufacturier Le rapport de l'AIE révèle non seulement la dynamique mondiale accélérée de l'hydrogène bas carbone et ses leviers d'emplois (fabrication, construction, R&D, formation), mais il met surtout en lumière le décalage entre les ambitions affichées par le Royaume et leur traduction concrète et visible sur la scène internationale en 2024. L'absence de mention signifie que le Maroc n'est pas encore un contributeur mesurable à l'emploi mondial du secteur. Il n'est pas perçu comme un pôle manufacturier identifié, un foyer de mégaprojets en construction, ou un leader dans le développement des compétences critiques. Pour l'ensemble des acteurs économiques marocains concernés (gouvernement, industriels, investisseurs, centres de formation, futurs employés), ce rapport de l'AIE pourrait servir de signal d'alarme et de catalyseur pour une action plus rapide, plus concrète et à plus grande échelle. Le temps des études et des feuilles de route est derrière nous. La compétition mondiale est féroce, les leaders se consolident, et la fenêtre pour capturer une part significative de la valeur économique et de l'emploi dans cette filière stratégique se réduit rapidement. L'implication est claire : accélérer la matérialisation des projets industriels, investir massivement et de manière stratégique dans la formation de pointe, et créer un environnement réglementaire et financier hyper-compétitif sont désormais des impératifs pour éviter de rester définitivement en marge de cette révolution énergétique et industrielle. Bilal Cherraji / Les Inspirations ECO