En une décennie, le paysage résidentiel urbain du Maroc a connu une transformation profonde. Porté par une urbanisation soutenue, un dynamisme démographique et des politiques publiques volontaristes, le parc de logements urbains atteint désormais plus de 8,3 millions d'unités. Mais au-delà de la croissance quantitative, c'est une véritable mutation qualitative qui s'opère, entre disparition progressive de l'habitat précaire, modernisation du bâti, développement de l'immobilier vertical et évolution des usages. Le Maroc a connu une transformation remarquable de son parc de logements urbains au cours des dix dernières années. Les chiffres issus du Recensement général de la population et de l'habitat (RGPH) de 2024 attestent de cette dynamique : le parc urbain s'élève désormais à 8,34 millions de logements, contre 6,2 millions en 2014. Cette progression, équivalente à 215.000 unités nouvelles par an, illustre l'intensité de l'urbanisation et la montée en puissance de la demande en logement, portée par une croissance démographique urbaine soutenue, l'essor de la classe moyenne et les politiques volontaristes de l'Etat en matière d'habitat. Cette dynamique traduit également une mutation profonde dans les représentations sociales du logement et les aspirations des ménages marocains. Vers la disparition de l'habitat précaire La structure du parc urbain marocain témoigne également d'un changement qualitatif majeur. En 2024, les logements sommaires et de type rural ne représentent plus que 3,4% du parc, contre 6,3% une décennie plus tôt. Cette évolution traduit les efforts significatifs de résorption de l'habitat insalubre, notamment à travers les programmes nationaux de lutte contre les bidonvilles, de relogement et de requalification des quartiers informels. Elle reflète aussi un tournant stratégique en faveur d'un urbanisme plus intégré et plus respectueux de la dignité humaine. L'objectif de villes sans bidonvilles, bien qu'encore inachevé dans certaines régions, progresse vers une réalité concrète. La montée en puissance des logements modernes Parallèlement à la disparition progressive de l'habitat précaire, le modèle dominant en milieu urbain reste la maison marocaine moderne, qui compose près de 60% du parc. Toutefois, on observe une montée significative des appartements, qui représentent 31,7% du parc contre 25,2% en 2014. Cette progression s'inscrit dans une dynamique d'urbanisation verticale, notamment dans les grandes villes où la pression foncière est forte et où les schémas d'aménagement orientent désormais la production vers des ensembles collectifs. Ce glissement vers la verticalité traduit aussi une évolution des modes de vie urbains (familles nucléaires, mobilité résidentielle accrue et recherche de proximité avec les services urbains). Les villas demeurent minoritaires (3,2%), tout comme les maisons marocaines traditionnelles (2,5%), en net recul. Le paysage urbain se rationalise et se verticalise, reflétant les mutations sociales, économiques et culturelles du pays. Logements vacants et usage saisonnier en hausse Au-delà des seules typologies de logement, c'est la question de leur usage qui interroge. Car une part croissante du parc urbain n'est ni habitée à l'année, ni accessible à la majorité. Malgré l'augmentation du parc, le taux d'occupation des logements connaît une baisse modérée ( 71,1% en 2024, contre près de 75% en 2014). Cette évolution résulte, d'une part, de la hausse du nombre de logements vacants (1,1 million d'unités, soit 13,4% du parc), et, d'autre part, de l'essor des logements secondaires ou saisonniers, qui atteignent 15,5% du parc contre 9,3% dix ans plus tôt. Ce dernier chiffre souligne un développement accru de résidences secondaires, souvent dans des zones côtières ou touristiques, traduisant une diversification des usages résidentiels mais aussi une spéculation foncière accrue. Cette évolution questionne la finalité sociale du logement dans les politiques publiques, notamment en ce qui concerne l'encadrement des marchés immobiliers. Une qualité constructive en nette amélioration Autre indicateur de la modernisation du parc : son rajeunissement et la qualité de construction. En 2024, 60% des logements urbains ont moins de 20 ans. En parallèle, la part des logements de plus de 50 ans est tombée à 6,2%, ce qui suggère une nette amélioration du confort et de la sécurité. Les matériaux utilisés témoignent de cette évolution : 99,4% des logements disposent de murs en maçonnerie, et 96,7% de toitures en dalle. Ces données confirment une standardisation vers des constructions plus durables et conformes aux normes techniques et architecturales modernes. Ce rajeunissement architectural, en lien avec les plans de relogement et les projets d'urbanisme, participe à une meilleure intégration paysagère et environnementale. Des équipements de base largement disponibles La généralisation des équipements de base est l'un des succès marquants de la dernière décennie. L'accès à l'électricité publique est désormais assuré pour 96,3% des logements urbains, ce qui traduit une couverture quasi totale. Cette avancée est le fruit d'une politique d'électrification continue, mais aussi de la densification des réseaux de services dans les zones urbaines et périurbaines. L'accès à l'eau potable et au réseau d'assainissement suit une dynamique similaire, bien que des efforts restent à fournir pour atteindre une équité territoriale complète. Toutefois, des disparités peuvent subsister dans certaines régions ou quartiers défavorisés, appelant à des efforts supplémentaires de justice territoriale. Cohabitation inter-ménages La cohabitation inter-ménages reste un phénomène marquant du tissu urbain marocain. Bien que l'on observe une tendance vers l'éclatement des ménages et la recherche d'indépendance résidentielle, les contraintes économiques poussent encore de nombreux ménages à partager le même logement. Ce phénomène est particulièrement visible dans les grandes agglomérations où les coûts d'accès au logement restent élevés. Ces cohabitations s'accompagnent souvent d'une densité d'occupation plus forte, d'un accès plus limité aux équipements et d'une qualité d'habitat moindre. Elles traduisent aussi une forme de résilience familiale, où la solidarité intergénérationnelle compense les défaillances du marché. Une salubrité globale en progrès, mais des poches de vulnérabilité L'ensemble des indicateurs tendent à montrer une amélioration de la salubrité globale du parc urbain. Cependant, le document du HCP met en évidence l'existence de zones d'exclusion urbaine, souvent localisées en périphérie ou dans des quartiers anciens peu rénovés. Dans ces espaces, les logements peuvent encore présenter des défaillances structurelles, un manque d'équipements ou des conditions d'habitabilité insuffisantes. Par ailleurs, et malgré la croissance continue du parc, le déficit structurel de logements urbains demeure un enjeu central. Ce déficit est alimenté par une démographie urbaine toujours dynamique, un taux de nuptialité élevé, une demande croissante des jeunes pour un logement autonome et une offre encore insuffisante en logements sociaux et abordables. Pour y faire face, il est impératif d'accélérer la production de logements adaptés aux différentes catégories sociales, en particulier aux jeunes ménages à revenu modeste, tout en maîtrisant les coûts du foncier et de la construction. Une nouvelle étape dans la politique de l'habitat Les résultats du RGPH 2024 dessinent les contours d'un parc urbain en pleine transformation. À la fois plus vaste, plus jeune, mieux construit et mieux équipé, il reflète les succès d'une décennie de politiques publiques actives. Mais ces progrès ne sauraient masquer les défis persistants : logements vacants, inégalités d'accès, cohabitation subie, poches d'insalubrité et pressions foncières. Pour faire du logement un levier de développement équitable et durable, le Maroc devra poursuivre ses efforts, en favorisant une production qualitative, inclusive et territorialisée. Ce nouveau diagnostic offre ainsi une feuille de route précieuse pour repenser la stratégie nationale de l'habitat, en phase avec les impératifs de cohésion sociale, d'efficacité économique et de durabilité environnementale.