Face à une dépendance massive aux importations et à une réglementation dépassée, le Maroc opère un tournant stratégique dans la gouvernance de ses huiles végétales. Le nouveau décret publié au Bulletin Officiel fixe des normes sanitaires plus strictes, jusqu'à redéfinir les règles du jeu pour l'ensemble de la filière, de la graine à l'étiquette. Transparence, qualité, traçabilité… Cette refonte réglementaire vise à protéger les consommateurs tout en imposant aux industriels une montée en gamme alignée sur les standards internationaux. On ne joue plus avec la qualité des huiles et graisses végétales destinées à la consommation humaine ! C'est, en effet, une nouvelle avancée qui est réalisée avec la publication, au Bulletin officiel n°7463 en date du 8 décembre 2025, du décret réglementaire n°2.25.394, adopté en Conseil de gouvernement le 23 octobre 2025. Ce texte pose les bases d'un encadrement juridique rigoureux de la production, de l'importation, de la commercialisation et de l'étiquetage de ces produits. Ce nouveau dispositif s'inscrit dans le prolongement de la loi n°28.07 sur la sécurité sanitaire des produits alimentaires et vise à harmoniser la législation nationale avec les standards internationaux en matière de qualité, de transparence et de salubrité. Il intervient dans un contexte où la consommation d'huiles végétales représente une part essentielle de l'alimentation au Maroc, mais aussi un enjeu stratégique pour la santé publique, la compétitivité industrielle et la souveraineté économique. Le champ d'application du décret couvre l'ensemble des huiles et graisses végétales, vierges ou raffinées, extraites de graines ou de fruits oléagineux, ou issues de leurs mélanges. Seules quelques huiles sont exclues explicitement, notamment l'huile d'olive, l'huile de grignons, l'huile d'argan ainsi que les margarines végétales, qui restent soumises à des réglementations spécifiques. Une des innovations majeures du décret réside dans l'instauration de nomenclatures strictes pour la dénomination commerciale des produits. Ainsi, l'appellation «huile vierge» ou «graisse vierge» ne pourra être utilisée que pour des produits obtenus exclusivement par des procédés mécaniques, sans aucune altération chimique ou raffinage, et dont la composition n'a subi aucune modification. À l'inverse, les huiles issues de procédés de raffinage devront être identifiées sous l'intitulé «huile de…» ou «graisse de…», suivi du nom de la graine ou du fruit. Par ailleurs, le terme générique «huile végétale» sera réservé aux mélanges de deux huiles ou plus, tandis que «graisse végétale» s'appliquera aux mélanges de graisses ou de combinaisons huile/graisse. Sur le plan sanitaire, le décret impose aux entreprises du secteur, qu'il s'agisse de production, transformation, stockage, transport ou distribution, d'être agréées ou autorisées au niveau sanitaire par les autorités compétentes, notamment l'Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). Elles devront assurer une traçabilité rigoureuse de leurs produits, se conformer aux seuils réglementaires de contaminants et résidus phytosanitaires, et n'utiliser que des additifs alimentaires autorisés par la réglementation en vigueur. Pour autant, l'aspect lié à l'usage culinaire n'a pas été négligé. Dans ce sens, les huiles destinées à la friture devront porter la mention «spéciale friture» accompagnée des conditions d'utilisation, et ne devront pas excéder 25% de composés polaires, afin d'éviter la dégradation nocive des matières grasses lors des cuissons à haute température. Sur le plan du conditionnement, le décret impose que les huiles soient mises sur le marché dans des contenants hermétiques, propres, secs et à usage unique, fabriqués à partir de matériaux compatibles avec les normes sanitaires. Cette mesure vise à éliminer les risques de contamination et à garantir l'intégrité du produit jusqu'au consommateur final. Les importateurs ne sont pas en reste. Ils devront s'assurer que les produits qu'ils introduisent sur le marché national répondent non seulement aux exigences de qualité édictées par le présent décret, mais également à celles déjà prévues dans les textes antérieurs relatifs à l'importation et à l'étiquetage. Plus encore, l'étiquetage devient plus transparent et normé. En plus des mentions obligatoires classiques, les étiquettes devront indiquer, le cas échéant, les mentions «pressée à froid» pour les huiles obtenues sans procédé thermique, ou «spéciale friture» si le produit convient à cet usage, conformément aux définitions précises fournies dans les articles 2 et 10 du décret. L'entrée en vigueur de ce texte abroge officiellement plusieurs anciennes dispositions réglementaires, certaines datant de plus d'un siècle. Il s'agit, notamment, des articles de l'arrêté ministériel du 22 novembre 1921 relatif à la vente des graisses et huiles alimentaires, ainsi que du décret du 8 mai 1962 sur l'industrie des huiles alimentaires. Ce toilettage était devenu nécessaire pour adapter le cadre normatif aux exigences contemporaines. Impact sur les industriels La mise en œuvre de cette nouvelle réglementation impliquera certainement des investissements importants pour les industriels. Ils devront adapter leurs lignes de production pour assurer la conformité aux normes de qualité et aux critères physico-chimiques précisés par les textes d'application, ce qui peut nécessiter des investissements significatifs dans des équipements de contrôle qualité, des systèmes de traçabilité et des lignes de conditionnement adaptées. Les coûts incluent également la formation du personnel, les audits de conformité et les certifications sanitaires. Mais au-delà de la contrainte, c'est une opportunité pour les entreprises marocaines de monter en gamme et de viser les marchés extérieurs avec des produits aux standards internationaux. Décryptage juridique Sur le plan juridique, ce décret clarifie un secteur où coexistaient encore des textes très anciens et parfois obsolètes. Il remplace et modernise des dispositions anciennes, certaines datant de plusieurs décennies, qui ne répondaient plus aux réalités actuelles du marché et aux exigences sanitaires contemporaines. Par exemple, il abroge progressivement des textes portant sur la vente d'huiles alimentaires et de graisses datant de 1921 et 1962, qui n'intégraient pas les classifications modernes des huiles vierges vs raffinées et ne fixaient pas de normes claires de traçabilité ou de composition physico-chimique. Cela clarifie le cadre juridique pour les acteurs du secteur et apporte plus de cohérence aux définitions et obligations réglementaires face aux standards internationaux. Conformité aux standards internationaux Le décret se rapproche des normes internationales dictées par le Codex alimentarius (FAO/OMS), qui fixe les limites de contaminants, de résidus chimiques et les conditions de transformation et d'étiquetage des huiles destinées à la consommation humaine. L'Union européenne, à travers le règlement (UE) 1169/2011, impose des obligations similaires, notamment sur l'étiquetage, l'origine et la qualité nutritionnelle. Ces exigences dépassent parfois les standards nationaux, renforçant l'importance pour les exportateurs souhaitant accéder au marché européen de se conformer à des critères complémentaires. Quant aux Etats-Unis, la FDA classe ces huiles comme produits GRAS («Generally Recognized As Safe»), avec des normes strictes sur les procédés et les additifs. En harmonisant sa réglementation, le Maroc facilite à la fois la protection du consommateur et l'accès à des marchés internationaux. Poids économique du secteur Le Maroc est fortement dépendant des importations pour satisfaire sa demande en huiles végétales. Près de 90% des huiles de table consommées au niveau national sont importées, principalement sous forme d'huile de tournesol, de soja ou de colza. Le pays importe annuellement près de 660.000 tonnes d'huiles végétales. En comparaison, la production locale de graines oléagineuses (comme le tournesol) reste faible, avec moins de 30.000 tonnes par an. Le marché marocain des huiles alimentaires est estimé à environ 1,58 milliard de dollars en 2024, avec une prévision de croissance qui pourrait porter ce chiffre à plus de 2,2 milliards USD à l'horizon 2030. Cette croissance est stimulée par l'urbanisation, l'évolution des habitudes alimentaires et la démographie. Sur le plan du commerce extérieur, les déficits commerciaux liés aux huiles alimentaires pèsent sur la balance des paiements, rendant le secteur stratégique tant pour la sécurité alimentaire que pour l'équilibre macroéconomique.