Alors que la justice poursuit ses réformes structurelles, une enquête Afrobarometer révèle une évolution notable de la perception citoyenne. La majorité des Marocains disent désormais faire confiance aux tribunaux. Mais cette avancée dans les opinions masque une réalité plus complexe, marquée par de fortes inégalités d'accès à la justice, notamment en matière d'aide juridictionnelle. L'enquête du Round 10 d'Afrobarometer, réalisée en janvier 2024 auprès de 2 .400 citoyens marocains, met en lumière une progression significative dans la confiance accordée aux tribunaux. Plus de 73% des sondés déclarent aujourd'hui faire «beaucoup confiance» ou «quelque peu confiance» au système judiciaire. Ce chiffre tranche nettement avec celui de 2013, où seulement 34% partageaient ce sentiment. Cette amélioration spectaculaire positionne le Maroc parmi les pays africains ayant enregistré les plus fortes progressions en matière de confiance institutionnelle en une décennie. Les répondants associent cette évolution à une perception d'une plus grande impartialité de la justice. En effet, 71% des Marocains estiment désormais que les citoyens ordinaires peuvent obtenir justice devant les tribunaux, ce qui reflète une croyance accrue en l'équité du système judiciaire. De plus, une majorité estime que les affaires sont généralement bien tranchées et dans des délais acceptables, et que les juges exercent leur mission sans être indûment influencés par des pressions politiques ou économiques. Cette montée de confiance est probablement à relier aux réformes engagées par le Royaume depuis une décennie en vue de moderniser l'appareil judiciaire. Plusieurs programmes ont ainsi porté sur la formation des magistrats, la numérisation des procédures et l'amélioration de la transparence dans le fonctionnement des tribunaux. Des campagnes de sensibilisation à la citoyenneté juridique ont également pu contribuer à modifier la perception du système. Une fracture sociale persistante face à l'accès à la justice Malgré ces signaux encourageants, le rapport Afrobarometer met en lumière une autre réalité plus préoccupante, celle des disparités profondes dans l'accès à la justice. De nombreux Marocains continuent de faire face à des obstacles structurels, économiques et informationnels qui entravent leur capacité à faire valoir leurs droits. Moins de la moitié des personnes interrogées (45%) estiment pouvoir supporter les coûts d'une procédure judiciaire. Ces coûts incluent non seulement les frais de justice proprement dits, mais également les honoraires d'avocats, les frais de déplacement, les traductions pour les justiciables amazighophones, ou encore les pertes de revenus liées à l'absence au travail. La situation est particulièrement alarmante dans les zones rurales, où la présence de tribunaux est limitée, et parmi les populations aux revenus modestes ou à faible niveau d'éducation, où la justice demeure largement perçue comme un luxe inaccessible. Dans ces régions, les citoyens doivent parfois parcourir des dizaines de kilomètres pour se rendre dans un tribunal de première instance, ce qui représente un coût logistique et financier dissuasif. À ces contraintes s'ajoute un déficit d'information inquiétant. Plus d'un tiers des sondés (36%) ne savent pas où trouver une aide juridique en cas de litige, et près de la moitié (48%) pensent ne pas pouvoir se la permettre, même si elle existait. Seuls 31% des répondants ont déclaré avoir connaissance de l'existence de ces services dans leur communauté. Cette méconnaissance empêche l'activation de droits pourtant garantis, creusant encore plus le fossé entre justice formelle et réalité vécue. Des inégalités de traitement encore ressenties Même si la perception d'impartialité a progressé, elle demeure fragile. Une proportion non négligeable de citoyens continue de penser que l'égalité devant la loi n'est pas toujours garantie. Environ 40% des sondés estiment que les personnes riches ou influentes bénéficient encore d'un traitement préférentiel dans les tribunaux, et qu'elles peuvent échapper aux sanctions. Par ailleurs, 41% pensent que les membres du gouvernement peuvent enfreindre la loi sans conséquences réelles. Les scandales impliquant des figures publiques, et la manière dont les procédures les concernant sont traitées, continuent d'alimenter un certain scepticisme. L'opinion publique réclame donc une justice plus audacieuse dans la lutte contre la corruption, la criminalité financière ou l'abus de pouvoir. Une majorité favorable à la peine de mort Autre élément marquant de l'étude, le soutien populaire à la peine de mort demeure très élevé. Près de 70% des Marocains estiment que cette sanction reste une réponse légitime pour les crimes les plus graves, tels que les meurtre ou les actes de terrorisme. Ce chiffre illustre une orientation punitive encore forte dans l'opinion publique, malgré l'absence d'exécution depuis plusieurs décennies. Ce soutien massif à la peine capitale reflète à la fois un attachement aux valeurs conservatrices et un sentiment d'insécurité latent. Il pose aussi la question du dialogue national à engager sur l'évolution du droit pénal et les alternatives à cette forme extrême de sanction. Enquête de référence et méthodologie L'enquête Afrobarometer Round 10 a été menée entre le 25 janvier et le 18 février 2024. Elle repose sur un échantillon national représentatif de 2.400 adultes marocains, sélectionnés pour refléter la diversité démographique du pays. Le sondage a été conduit par l'institut Global for Survey and Consulting, en partenariat avec Afrobarometer. Le niveau de confiance est de 95%, avec une marge d'erreur de ±2%. Les résultats de cette enquête fournissent une base solide pour éclairer les politiques publiques et mesurer l'impact réel des réformes judiciaires sur le terrain. Ils montrent que la confiance ne se décrète pas, mais qu'elle peut se gagner à travers une justice perçue comme plus proche, plus équitable et plus accessible.