D'après l'Observatoire des TPME, 94% du tissu productif national est composé de Très petites, petites et moyennes entreprises dont le chiffre d'affaires ne dépasse pas dix millions de dirhams, avec près de 80% d'entre elles sous la barre des trois millions. Faut-il y voir un problème d'accès au financement ou une difficulté plus structurelle à franchir le cap de la croissance ? Lors de sa dernière réunion, le Conseil de Bank Al-Maghrib tire les enseignements du dispositif Intilaka et, au-delà du bilan, fait état d'un réajustement de sa doctrine d'accompagnement des plus petites entreprises. Par-delà le cadre classique de lutte contre l'inflation, le Conseil de Bank Al-Maghrib (BAM) a voulu, lors de sa dernière réunion trimestrielle de 2025, remettre à l'ordre du jour une question qui dépasse le seul registre monétaire et renvoie à la vitalité du tissu productif. Il a salué d'emblée l'engagement des parties prenantes ayant signé, le 4 décembre, la Charte relative au financement et à l'accompagnement des TPE, y voyant un levier susceptible de faciliter l'accès au crédit et constituer un vivier important d'emplois. «Le conseil considère que cette charte apporterait une contribution significative au développement de cette catégorie d'entreprises et renforcerait sa participation à l'investissement, à la création d'emplois et à la promotion d'un développement territorial intégré», stipule le communiqué officiel publié à l'issue de la réunion. La fragilité du tissu économique est telle que, d'après l'Observatoire des TPME, 94% du tissu local est composé de Très petites, petites et moyennes entreprises dont le chiffre d'affaires (CA) est inférieur à dix millions de dirhams, avec près de 80% d'entre elles en deçà des trois millions de CA. Ce constat, jugé accablant par les autorités monétaires, incite à rompre avec la politique du statu quo. «Si, à la moindre dégradation de la conjoncture, induite par des facteurs exogènes ou intrinsèquement liée à l'activité économique nationale, nous sommes obligés de jouer les sapeurs-pompiers, jusqu'où irons-nous ainsi?», s'interroge le gouverneur de la Banque centrale. Ceci est d'autant plus préoccupant que la conjoncture actuelle se trouve exacerbée par le regain du protectionnisme à l'international promu par les Etats-Unis, un aspect que le wali n'a pas manqué de souligner lors de sa récente sortie médiatique. Pourtant, dans le dispositif de refinancement du secteur bancaire, pas moins de 30% des enveloppes de financement est réservé à cette catégorie d'entreprises. «Ce n'est que lorsque la demande s'avère faible qu'on le réoriente vers d'autres secteurs», assure Jouahri. Mais cela s'avère après coup insuffisant. Et BAM a beau avoir porté ses injections à 143,2 milliards de dirhams (MMDH) en octobre-novembre, dont 33 milliards via des prêts garantis au titre des programmes de soutien au financement de la TPME, l'accès au crédit demeure plus coûteux pour les plus petites signatures. Au troisième trimestre 2025, le taux appliqué aux TPME s'établit encore à 5,41%, contre 4,64% pour les grandes entreprises, tandis que le taux débiteur moyen global stagne à 4,85%. Approche décentralisée Le bilan de l'opération Intilaka, dont le financement global culmine à neuf MMDH, au bénéfice de 38.000 structures financées, livre également une grille d'évaluation utile. Selon le retour d'expérience de BAM, sur l'ensemble des projets soumis aux établissements de crédit, près de 40% se heurtent à une fin de non-recevoir. Motif avancé au guichet, des business plans jugés peu bancables, des hypothèses de chiffre d'affaires insuffisamment étayées, ou encore des plans de trésorerie trop tendus... autant d'éléments qui conduisent les banquiers à douter des chances de voir ces dossiers déboucher, au bout du compte, sur un modèle économique viable et finançable. Face à ce plafond de verre qui retient la micro-entreprise, les pouvoirs publics ne comptent pas rester spectateurs. Pour cela, ils tablent sur une approche décentralisée, au plus près des bassins d'activité, là où les projets voient le jour, et dont les porteurs finissent, faute d'accompagnement, par placer prématurément la clé sous le paillasson... «C'est souvent au niveau des communes rurales que nous avons un problème», affirme Jouahri. C'est d'ailleurs ce qui a amené BAM à envisager un accompagnement sur l'ensemble du processus, du début à la fin. «La finalité pour nous, ce n'est pas que la TPE survive», insiste le wali, mais qu'elle apprenne à franchir les paliers… C'est ce qui va créer, in fine, de l'emploi et booster l'activité. La solution mise en œuvre à moyen terme implique l'ensemble des parties prenantes : banques, Maroc PME, CRI, CGEM, ministères des Finances et du Commerce lesquelles se sont réunies pour poser les jalons d'une montée en gamme de l'économie locale. Parmi les pistes avancées figure la mise en place d'un scoring national. «Nous avons entamé ce chantier et avons engagé une jeune pousse spécialisée en IA pour établir ce scoring national, qui permettra de noter les TPE et d'alimenter la grille d'analyse des banques», souligne Jouari. Le dispositif a pour finalité de simplifier la supervision, pour permettre au régulateur d'affiner sa grille de lecture, et de mieux décortiquer les motifs de refus des demandes de financement. Formation des formateurs Au delà du volet financement, l'accompagnement demeure l'autre épine au pied de l'entrepreneuriat. BAM a exhorté à cet égard Maroc PME et les CRI à se mobiliser pour bâtir un programme de sensibilisation. Et ce, en s'appuyant notamment sur la Fondation marocaine pour l'éducation financière, et avec le tourisme comme secteur pilote. «Le problème n'est pas tant à Kénitra, Rabat ou Casablanca. Il se pose surtout dans les zones enclavées et sous-dotées». Les établissements de crédit y vont aussi de leur propre dispositif, en activant leurs structures de formation et leurs plateformes "entrepreneurs". Ainsi, ces mesures visent à épauler les créateurs d'entreprise et à contribuer au renouvellement du tissu économique. Car, au-delà du coût de l'argent, tout se joue dans la capacité à transformer une demande de crédit en dossier finançable, puis en activité viable dans la durée. La Commission nationale de gouvernance d'entreprise consolide son cadre normatif Réunis à Casablanca, le 18 décembre, le ministère de l'Investissement et la CGEM ont officialisé le lancement de nouveaux codes de bonnes pratiques de gouvernance, en leur qualité de coprésidents de la Commission nationale de gouvernance d'entreprise (CNGE). L'exercice, très normatif en apparence, en dit long sur la vie concrète des entreprises, en particulier lorsqu'elles cherchent à changer d'échelle et à accéder à des financements plus exigeants. Le chantier débouche sur un Code général censé s'appliquer à l'ensemble des entreprises, complété par cinq codes sectoriels tenant compte de la taille, du secteur, de l'actionnariat et des modes de financement. La CNGE met en avant une révision nourrie de «meilleures pratiques» internationales et de consultations, avec une promesse implicite : rapprocher la gouvernance marocaine des standards attendus par les investisseurs, tout en tenant compte des spécificités locales. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO