Ce matin, Miloudi marchait calmement en essayant d'éviter les trous, les bosses, les trottoirs jonchés de mobylettes et de poubelles, les terrasses de café, véritables excroissances incontrôlées et tout ce qui le séparait de son noble objectif : une journée de travail bien remplie avec des collègues souriants, amènes et sympathiques. La distance le séparant de son bureau étant tous les jours la même, il serait logique de penser que la durée le serait également.Mais c'était sans compter sur les rencontres, les attractions qu'offre la rue, véritable kaléidoscope multicolore, avec les odeurs et les sons en prime et les tentations qui s'imposent sur le chemin de l'honnête homme, à chaque coin de rue : les cafés, véritables temples de la lutte contre la productivité et le travail. Ce matin, traversant à un feu rouge et sur un passage piéton vert, signalé par un petit bonhomme sympathique, il croyait être dans son droit. Mais l'automobiliste qui tournait au même moment, n'entendait pas partager l'espace qu'il considérait comme sien avec quiconque, et encore moins avec un bipède. Le spectacle ressemblait à une corrida, où dans un ballet approximatif, la bête fonçait sur le piéton qui tentait d'esquiver le coup mortel, sans perdre la face et se ridiculiser devant les badauds en manque de spectacle et d'hémoglobine.Le plus drôle dans cette scène qui se répète certainement des centaines de fois à chaque croisement de la ville, était le décalage entre le véhicule, plutôt imposant et son klaxon, fluet, qui donnait l'impression d'une erreur de bande-son. Difficile en effet de croire que ce petit son fluet, presque timide trouvait son origine sous ce gros capot agressif. Après avoir slalomé et réussi à éviter le véhicule fou, Miloudi, dont le regard valsait entre les pare-choc rutilants, crocs affamés de chair et l'agent de police, chargé, a priori de faire régner la loi et le code de la route, témoin impassible de cette agression caractérisée, n'eut pour réponse qu'un haussement d'épaules du képi sur pieds, levant les yeux au ciel dans une reddition incompatible avec l'uniforme qu'il arborait. Miloudi, en reprenant sa route, se consolait en pensant à ce célèbre fabricant de motos japonais qui venait de créer une veste pour amortir les coups, en se disant que ce serait un bon cadeau..