« De mourir, ça ne me fait rien. Mais ça me fait de la peine de quitter la vie ». Driss Benali, l'illustre économiste, disparu ce dimanche 3 février à Marrakech, suite à une longue maladie, aurait repris cette citation de Marcel Pagnol, non pour regretter une vie éphémère mais pour exprimer son regret d'avoir quitté cette vie sans qu'il puisse vivre sous un « Maroc plus libre, tolérant et qui respecte le droit à la différence ». Un souhait que Benali ne se lassait de marteler. Un souhait et un espoir qui ont fait la raison d'être d'un économiste qui ne mâchait pas ses mots, qui défendait avec ardeur des positions courageuses, et qui a vendu son âme à une cause ultime, celle de contribuer à un développement équitable au Maroc et à dénoncer les dysfonctionnements pour faire avancer les choses. « Je veux être utile à mon pays et apporter ma contribution au Maroc. Comme disait Kennedy, Il ne faut pas demander ce que le pays peut nous apporter, mais ce que nous, nous pouvons lui apporter », a-t-il dit à un jour à un journaliste marocain. Un « client » respecté parles médias Les journalistes, eux, se souviendront de cet « Homme », toujours disponible pour expliciter des problématiques, apporter sa valeur ajoutée aux débats et commenter l'actualité avec un recul et une analyse tant recherchés. Ceux qui l'ont côtoyé de près ne tarissent pas d'éloges à son égard. «Humble, discret, sans langue de bois…». La plupart des sondés nous rappellent ces trois grandes qualités qui par lesquelles l'économiste Benali les a marqués. Pour le spécialiste en intelligence économique, Abdelmalek Alaoui, le Maroc perd une « grande figure économique à la personnalité ombrageuse mais d'une voix non consensuelle ». « C'est un modèle pour nous tous », nous déclare Alaoui. Un modèle, oui, puisque Benali est resté attaché à ses valeurs et à ses engagements. Benali criait haut et fort ce que les autres pensaient tout bas. Il savait également adapter ses discours et ses prises de positions virulentes. Lors de ses passages télévisés, notamment dans les médias officiels, Benali choisissait sciemment ses mots et les dosait, tout en passant son message et sans choquer le « Makhzen » et les autorités. Benali était devenu l'interlocuteur privilégié de certains médias. Une tribune lui était allouée au quotidien arabophone Al Massae et France 24 l'invitait souvent sur ses plateaux surtout après l'avènement du printemps arabe. Omar Salim en a fait la référence éco à 2M Pour l'animateur Omar Salim, qui avait choisi Benali comme consultant économique pour ses émissions à 2M, ce dernier était un économiste distingué et un « chic type » : « J'avais une relation particulière avec Benali. Je l'appréciais grâce à sa grande humilité qui était sa devise. C'est quelqu'un de très discret et un économiste très pointu. Quand Benali parle, il ne dit pas des conneries ! », nous confie Salim. Son apport a été d'une grande valeur, puisqu'effectivement Benali ne racontait pas des « bobards » lorsqu'il était invité à prendre la parole ou à contribuer à un sujet. Son franc-parler, sa disponibilité et sa présence dans les événements les plus marquants du Maroc d'aujourd'hui, ont été d'une grande importance pour la résolution des réels maux d'un pays qui « ne s'est pas encore ouvert à la modernité », selon le défunt. Témoignage d'un professeur, ancien-étudiant de Benali Du côté de ses étudiants, la nouvelle a été amère. « C'est quelqu'un qui avait étudié, enseigné, vécu et porté dans son cœur un des plus grands campus universitaires français, celui de Grenoble. En 1999, pour mon inscription en thèse sous sa co-direction, il a bataillé pour que ma convention de cotutelle soit signée à Rabat, lui qui connaissait si bien la bureaucratie marocaine », se rappelle Hicham El Bayed, professeur à l'université Hassan 1er de Settat. « Il avait de l'humour, le sens de la plaisanterie, comme on l'aime. C'était aussi un homme d'une modestie inouïe. Une fois, il est même venu me rendre visite à la résidence universitaire à Grenoble, modeste comme il était, sans complexe et en toute humilité ! ça c'est pour l'homme qu'il était. Presque 10 ans après, je m'en souviens encore comme si c'était hier», nous confie El Bayed. Le philosophe Sigmund Freud avait dit, « Au fond, personne ne croit à sa propre mort, et dans son inconscient, chacun est persuadé de son immortalité ». Driss Benali n'est plus. Ses écrits, le souvenir de sa personne, l'ont déjà rendu immortel.