Othman Benjelloun s'exprime sur sa longue carrière, ses affaires. Pour lui, l'heure de la retraite n'a pas sonné. Interview exclusive. «Je travaille 25h/24» Vous avez passé plus de 50 ans dans l'industrie, les finances et le monde des affaires. Durant cette période, vous avez lancé plusieurs projets et créé divers partenariats aussi bien au niveau national qu'international. Etes-vous satisfait de vos réalisations durant votre longue carrière ? Sans aucun doute! Je suis rentré au Maroc en 1959 après avoir terminé mes études supérieures à Lausanne, pour débuter mon parcours dans le monde des affaires. J'ai ainsi entamé ma carrière en travaillant avec mon défunt frère Omar, dans le secteur de l'industrie. En effet, nous avons mis en place plusieurs grandes industries dans le montage des poids lourds en particulier. Ainsi, durant la période s'étalant entre 1971 et 1983, nous exportions entre 500 et 1000 camions de marque Volvo en direction de la Chine. Aussi, notre groupe a-t-il fortement contribué à l'exportation de gros engins vers ce pays asiatique qui édifiait jadis des barrages et aspirait à la réalisation de projets de grande envergure dans le domaine des infrastructures. Ceci m'a permis de suivre de près l'essor extraordinaire de la Chine et de découvrir l'énergie de ce pays qui lui a permis de devenir aujourd'hui l'un des pays les plus puissants de la planète. Dans le même registre, je tiens à signaler que la Chine n'oublie jamais ceux qui l'on épaulé. De ce fait, le Maroc y bénéficie d'une place et d'une réputation particulière. Notre pays figure parmi les dix premiers à avoir reconnu l'indépendance de la République populaire chinoise, ce qui joue jusqu'à ce jour un grand rôle dans le maintien et le renforcement des liens qui existent entre nous. Aujourd'hui la Chine est considérée comme étant un pays moderne qui a réalisé un saut considérable dans divers secteurs. Il est difficile la comparer avec d'autres pays développés (…). Qu'en est-il des autres secteurs d'activité qui ont attiré votre attention ? Après notre expérience réussie dans l'industrie, notre groupe s'est axé sur les assurances. Nous étions en possession de la société Royale marocaine d'assurances (RMA), qui a été créée par dix nationalistes marocains, dont mon défunt père, à l'époque du protectorat. Ce qui était exceptionnel à cette époque là ! La raison sociale de l'établissement a été donnée par feu S.M Mohammed V, à travers un dahir spécial à cette occasion. Aussi, l'entreprise a-t-elle eu le grand privilège d'être présidée à titre honorifique, par feu S.M Hassan II, alors prince héritier. Pour ma part, je n'avais aucune expérience du métier. Néanmoins, ceci ne nous a pas empêchés d'aller de l'avant et de réussir à décrocher en 1995, l'appel d'offres relatif à la privatisation de la Banque marocaine du commerce extérieur (BMCE). Ceci s'est fait grâce à la constitution d'un consortium qui a regroupé des investisseurs partenaires venus de l'étranger. Les fruits de cette opération n'ont pas tardé à venir, puisque nous avons réussi comme je l'ai dit, à décrocher l'appel d'offres international lancé par le gouvernement de l'époque. Pourquoi avoir choisi d'investir dans le secteur des finances ? Nous disposions d'une société d'assurances qui avait besoin d'un levier bancaire afin d'élargir son périmètre d'activité. J'avais auparavant acquis une partie du capital de la Banque marocaine de commerce et d'industrie (BMCI). Malheureusement, après deux ans seulement, j'ai constaté qu'il n'était pas possible d'y élargir notre participation. Principale raison à cela est que la Banque Nationale de Paris (BNP) contrôlait le capital de la banque marocaine, ce qui m'a poussé par la suite à me présenter à l'appel d'offres pour la privatisation de la Banque marocaine de commerce extérieur (BMCE). Ma chance est que cet appel d'offres avait suscité l'intérêt d'établissements bancaires étrangers, ce qui m'a donné la possibilité de boucler mon tour de table. Je n'imaginais pas à l'époque que j'allais devenir banquier, jusqu'au jour où le Conseil d'administration de la BMCE m'a proposé d'en devenir le président. Quand j'ai accepté cette offre, j'ai émis le souhait de remplir ma mission pour une durée limitée d'un an et ce, afin d'avoir le temps de chercher un remplaçant. Le destin en a décidé autrement, quinze ans plus tard, j'occupe toujours le poste et j'en suis ravi. J'ai l'intime conviction que nous avons réalisé beaucoup de choses positives durant les quinze dernières années, non seulement pour notre établissement bancaire mais aussi pour les personnes qui y travaillent. En 1995, le nombre d'employés ne dépassait guère 2000 personnes. Aujourd'hui, nous avons dépassé le seuil des 9000 employés, répartis entre le Maroc, l'Afrique et l'Europe. C'est l'un des éléments qui me pousse à redire que nous avons réussi à édifier un établissement bancaire exceptionnel dans le royaume, que ce soit au niveau national, africain ou international. A mon immense satisfaction, l'emblème national flotte dans plusieurs pays où la BMCE est implantée. Cette réussite n'est pas seulement celle de Othman Benjelloun , mais elle est le fruit du travail et de la persévérance de tous nos employés et à la mobilisation du peuple marocain. Personnellement, je me considère comme faisant partie d'un édifice global. Mon engagement est total, je travaille 25 heures sur 24 pour superviser la bonne gestion de l'établissement et la prise de décision. Vers la fin des années 90, vous avez décroché la deuxième licence GSM au Maroc, ce qui a constitué un événement de taille . Pourquoi un tel pari ? Quand le Maroc a annoncé vouloir lancer un appel d'offres international pour céder la deuxième licence GSM, j'ai décidé de faire la même démarche que celle que j'avais faite lors de l'acquisition de la BMCE. Nous nous sommes reposés sur des investisseurs étrangers qui travaillent dans le secteur des télécommunications et nous n'avons pas hésité une seconde à débourser une somme conséquente pour acquérir cette licence d'exploitation. L'opération a constitué en effet un grand événement dans la sphère financière internationale. C'est logique puisque nous avons déboursé la somme de 1.1 milliard de dollars pour la licence seulement. Nous avons par la suite travaillé d'arrache-pied pour hisser Méditel parmi les grands opérateurs dans ce domaine, ce qui a poussé le président de France Télécom, Stéphane Richard en personne, à déclarer que Méditel est une entreprise remarquable. Ceci a également incité l'opérateur français à débourser 650 millions d'euros pour l'acquisition de 40 % du capital de Méditel et 80 millions d'euros injectés dans ses comptes courants. Je tiens à signaler que l'équipe de M. El Mandjra a réussi, en un temps record, à réaliser des résultats impressionnants. Quel est votre sentiment aujourd'hui? Je suis naturellement très satisfait de ces réalisations, que ce soit pour les entreprises opérant dans les assurances, les banques rattachées à notre groupe, ou bien celles qui travaillent dans les télécommunications. Actuellement au sein de notre groupe, nous sommes en train d'étudier plusieurs projets à réaliser aussi bien au Maroc qu'en Amérique du Sud. Pour ce qui est des dix prochaines années, l'essentiel de mon action portera sur deux projets-phare. D'abord, l'établissement d'un hub financier international sur la ville de Casablanca, cette initiative portera le nom de Casablanca Finance City. Ensuite ma priorité se portera sur la conquête africaine. A mon sens, ce continent recèle un grand potentiel de croissance économique, il est nécessaire de se positionner fortement dans la région. Comme je l'ai dit auparavant, je ne recule devant aucun obstacle pour faire flotter le drapeau marocain aux quatre coins du monde. En conclusion, j'estime que tant que je suis capable de travailler et donner le meilleur de moi-même, il n'est pas question de retraite. On en reparlera dans dix ans ! Propos recueillis par Chakir Arsalane