Lors d'un panel tenu à l'occasion de la 2e édition du DeepTechSummit autour de l'IA et des enjeux industriels africains organisée par l'UM6P, des experts venus du Maroc, des Etats-Unis, du Kenya et du Qatar ont échangé sur la façon dont l'intelligence artificielle (IA) peut servir de levier de transformation pour la recherche, l'entrepreneuriat, l'éducation et l'agriculture en Afrique. Un mot d'ordre a émergé : créer un écosystème endogène, inclusif et orienté vers l'impact. « L'IA est une commodité, mais elle a besoin d'infrastructures pour produire de la valeur », lance d'emblée Yassine Laghzioui, directeur général de l'UM6P Ventures et modérateur du panel, qui a interrogé d'abord Jalal Charaf, directeur du numérique et de l'intelligence artificielle à l'UM6P, sur les conditions de création d'un véritable écosystème IA. « C'est une période de fermentation. L'IA est encore difficile à cerner, c'est comme une drogue : on cherche encore la bonne dose et on découvre peu à peu ses effets secondaires », répond Jalal Charaf, tout en rappelant l'engouement mondial depuis la sortie de ChatGPT. « À l'UM6P, nous avons été les premiers en Afrique à adopter cet outil, et aujourd'hui, nous travaillons à le démocratiser. Le cœur de notre mission, c'est de transformer l'éducation, la recherche et l'entrepreneuriat. Mais toujours avec un objectif clair : préparer la jeunesse africaine», rappelle-t-il. Pour lui, la transformation numérique doit s'ancrer dans une ambition collective de souveraineté scientifique et technologique. Cela passe par la mise en place de véritables écosystèmes d'innovation, connectés au terrain, où la recherche appliquée trouve un débouché concret dans l'entrepreneuriat. « La technologie seule ne suffit pas. Ce qu'il faut, c'est un modèle qui connecte les idées aux marchés, avec les bons outils de financement et d'accompagnement ». Franchir la vallée de la mort Sur la question plus spécifique du passage de la recherche au marché, Laghzioui évoque l'expérience du Lawrence Berkeley National Laboratory, membre du système national de laboratoires soutenu par le ministère américain de l'énergie par l'intermédiaire de son Office of Science. Un défi de taille selon lui : « Transformer la technologie en valeur, c'est traverser une vallée de la mort. » Reshma Singh, directrice de programme au Berkeley Lab rappelle que Berkeley a vu naître des technologies révolutionnaires. Elle explique que « la plupart des startups deep tech échouent faute de ressources, de mentorat ou de débouchés industriels. ». À Berkeley, elle cite différent programmes qui visent justement à combler ce fossé. Leur approche ? Appliquer aux technologies climatiques une logique d'incubation longue, mêlant expertise scientifique, réseau entrepreneurial et appui financier. Selon elle, les chercheurs ne doivent plus être enfermés dans les laboratoires, mais intégrés à des chaînes de valeur concrètes. « il ne s'agit pas d'importer des modèles, mais d'en créer de nouveaux, ancrés dans les réalités locales », estime celle qui reste convaincue qu'il faut une collision entre capital public et capital privé. « Sans cette synergie, pas de passage du laboratoire au marché ». IA éducative. Au service de l'humain, pas à sa place Au-delà de la technologie, l'enjeu est aussi humain. La question de la formation, de la requalification des compétences et de la préparation des chercheurs est posée. Stavros Yiannouka, CEO du think tank WISE (Qatar Foundation), rappelle que « la connexion entre innovation, politique éducative et recherche est essentielle ». Il note également que l'IA peut devenir un formidable levier d'inclusion éducative, à condition de rester centrée sur l'humain. « L'IA ne remplace pas les enseignants, elle les renforce. Elle permet de personnaliser les parcours, d'identifier les lacunes, d'élargir l'accès. Mais elle ne doit jamais déshumaniser l'apprentissage. » Pour cet expert, l'enjeu n'est pas seulement technologique, il est profondément pédagogique, éthique et culturel. IA et agriculture. Nourrir la planète de manière durable L'IA n'est pas qu'une affaire de logiciels ou de laboratoires. Elle s'infiltre aussi dans les champs, dans les chaînes alimentaires, et bouleverse les équilibres agricoles. À l'échelle de l'Afrique, l'un des domaines les plus prometteurs pour l'IA reste celui de l'agriculture. Ram Dhulipala, directeur de la stratégie numérique au CGIAR (Kenya), explique comment des algorithmes intelligents permettent déjà de prévoir les rendements, d'optimiser l'irrigation, de lutter contre les maladies des cultures. « Mais pour réussir, ces solutions doivent être adaptées, accessibles et co-construites avec les agriculteurs eux-mêmes. » Selon lui, l'IA agit aujourd'hui sur cinq piliers clés : la recherche agricole, l'accès aux marchés, les chaînes logistiques, la surveillance climatique et la prise de décision. « Ce ne sont pas seulement des algorithmes. Ce sont des outils de survie pour le continent. » Pour conclure, Laghzioui revient à l'essentiel : « L'IA donne à chacun la possibilité de rêver... et de réaliser ce rêve. » Encore faut-il que les écosystèmes soient conçus non pas pour suivre les modèles des autres, mais pour répondre aux défis propres à l'Afrique.