Le 19ème Congrès Mondial de l'Eau à Marrakech devrait s'achever vendredi avec l'adoption de la Déclaration de Marrakech. Retour sur les enjeux et les engagements mondiaux. Durant cinq jours de débats intenses lors du 19ème Congrès Mondial de l'Eau à Marrakech, experts, chercheurs et décideurs venus du monde entier ont exprimé leur profonde inquiétude face à l'aggravation des défis liés à l'eau. Dans un contexte de transformations environnementales, sociales et économiques majeures, ils ont souligné que l'eau reste essentielle à la vie, aux écosystèmes et au développement durable. Le Congrès IWRA 2025 marque un retour historique au Maroc, plus de trois décennies après le 7ème Congrès de Rabat en 1991. L'événement a réaffirmé que les pressions sur les ressources hydriques à cause du changement climatique, de la croissance démographique, de l'urbanisation et la pollution, nécessitent une gestion innovante et adaptative. La Déclaration finale tire la sonnette d'alarme sur l'inégalité d'accès à l'eau potable, avec des millions de personnes privées de ce droit fondamental. Les modèles actuels de gouvernance montrent leurs limites face aux crises humanitaires et aux catastrophes naturelles.
Priorités et axes d'action de la Déclaration Pour relever ces défis, la Déclaration appelle à mobiliser les technologies innovantes telles que l'Intelligence Artificielle, les solutions basées sur la nature et la valorisation des savoirs autochtones. Elle préconise également de renforcer la coopération internationale, surtout avec les pays en développement, en partageant données, expertises et financements. La gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) doit être appliquée en reliant les secteurs de l'eau, de l'énergie, de l'alimentation, de la santé et de la biodiversité. La lutte contre la pollution, notamment les plastiques et substances chimiques, est essentielle pour protéger les écosystèmes. En sus, l'éducation et la sensibilisation à tous les niveaux sont indispensables pour instaurer une responsabilité collective. La Déclaration exhorte à élever l'eau au rang de priorité mondiale dans les prochains forums internationaux, comme la COP 31, la Conférence des Nations Unies sur l'eau 2026 et le Forum Mondial de l'Eau 2027. Il s'agit de mobiliser des financements innovants, renforcer la sécurité hydrique dans les zones vulnérables et améliorer le suivi grâce à la numérisation et à des approches inclusives.
Eau en péril : Entre incertitudes, contradictions et solutions Yuanyuan Li, président de l'IWRA, a souligné la complexité grandissante des défis liés à l'eau, accentuée par le changement climatique et de fortes pressions socio-économiques, précisant que la situation est plus préoccupante qu'il y a trente ans. Selon lui, «l'eau n'est pas seulement une ressource, elle est identité, mémoire et survie » . De son côté, Retno L.P. Marsudi, envoyée spéciale de l'ONU, a reconnu que si des solutions techniques existent, ce qui fait défaut ce sont les compétences, la coordination et les décisions politiques adaptées pour les appliquer. Elle a illustré son propos avec l'exemple d'un village indonésien visité avant le Congrès, où l'accès à l'eau potable reste un combat quotidien. Elle a insisté sur la nécessité d'intégrer l'eau aux agendas du climat, de la biodiversité et de la paix. Stratégie marocaine : Transformer la pénurie en production durable Le Maroc a adopté une stratégie nationale ambitieuse, fondée sur la souveraineté en matière d'eau. Le ministre de l'Equipement et de l'Eau, Nizar Baraka, a présenté, lors du Congrès, le plan combinant un programme massif de dessalement, avec une capacité visée de 1,7 milliard de m3 d'eau renouvelable d'ici 2030 : l'innovation technologique, avec par exemple l'Intelligence Artificielle pour détecter les fuites ou les panneaux solaires flottants réduisant l'évaporation sur les barrages ; une approche intégrée «Nexus Eau-Energie renouvelable-Alimentation» et une stricte régulation de l'exploitation des nappes souterraines. Loïc Fauchon, président du Conseil Mondial de l'Eau, souligne que la technologie doit être accompagnée d'un changement profond des comportements. Il considère la sobriété non pas comme une contrainte, mais comme «la moitié du progrès » pour une gestion efficace dans les secteurs urbain et industriel. Il met également en garde contre la négligence de l'assainissement, appelant à un «New Deal» pour ce domaine essentiel à la dignité humaine. En hommage au leadership du Maroc, Fauchon rappelle la création prochainement, déjà annoncée, en avril 2025, dans le pays d'un Centre international dédié aux eaux non conventionnelles associées aux énergies renouvelables. En revanche, l'Envoyée spéciale Marsudi exhorte à ne pas faire partie de la «génération qui a eu les preuves et a échoué à agir». Le Congrès souligne que l'eau relie les nations et doit redevenir un fondement de prospérité partagée.
Chine, Maroc, Turquie : Expériences contrastées mais complémentaires Lors d'un panel de haut niveau, la Chine, la Turquie et le Maroc ont présenté des approches complémentaires face aux défis de l'eau. La Chine a exposé une vision novatrice de la gestion des risques liés aux crues, transformant ce danger en ressource utile et fonctionnalité écologique grâce à des systèmes intégrés et des technologies avancées. La Turquie adopte une approche globale visant «zéro perte d'eau», en utilisant massivement les technologies numériques en agriculture et en favorisant la réutilisation circulaire de l'eau, tout en surveillant les contaminants émergents liés à la santé et à l'environnement. De son côté, le Maroc illustre l'intégration réussie entre gestion moderne, innovation technologique et respect des traditions ancestrales, portée par une stratégie royale à long terme. Le ministre marocain Nizar Baraka souligne que la richesse des expériences nationales est un atout dans ce combat global. La force symbolique du choix de Marrakech, ville qui a été un laboratoire vivant de l'innovation en matière d'eau au fil des siècles, avec des systèmes traditionnels avancés comme les «khettaras» et les «séguias». Ces pratiques ancestrales ont inspiré les politiques modernes fondées sur l'innovation et l'intégration, a-t-il précisé. Son homologue turc annonce que le 20ème Congrès IWRA se tiendra à Istanbul en 2027 sur le thème «Eau intelligente, résiliente et sûre en transition», poursuivant la dynamique de Marrakech. Les trois pays unissent leur voix pour faire de l'eau une priorité mondiale, fondement de la paix, de la dignité humaine et du développement durable. Comme le rappelle le ministre turc, «protéger les générations futures, c'est faire avancer science et politique main dans la main». Le Maroc se trouve aujourd'hui à un carrefour stratégique. Face à la crise hydrique mondiale, les modèles traditionnels de gestion de l'eau doivent être réinventés. Grâce au dessalement, à la réutilisation, à la coopération et à l'innovation, le Royaume, à l'instar de plusieurs pays, ouvre une voie pragmatique et ambitieuse pour garantir l'accès à l'eau potable, préserver ses ressources et soutenir le développement durable. Même si ce pari demeure fragile, il nécessite des investissements soutenus, des politiques cohérentes, une gouvernance solide et un engagement collectif. Le temps presse, mais l'espoir d'un avenir hydriquement durable reste plus que jamais à portée de main.
Youssef BENKIRANE Cap sur les Prix de l'IWRA 2025 Les Prix 2025 de l'Association Internationale des Ressources en Eau (IWRA) ont été remis à Marrakech. Ces distinctions récompensent des individus et des organisations dont le travail a un impact significatif et durable sur la gestion des ressources en eau, encourage l'innovation et promeut des pratiques durables au bénéfice des communautés et des écosystèmes à travers le monde. Le «Prix commémoratif Ven Te Chow» a été décerné à Cecilia Tortajada, professeure à l'Ecole de développement durable social et environnemental de l'Université de Glasgow (Ecosse). Ce Prix, créé pour honorer le fondateur et premier président de l'IWRA, l'hydrologue Ven Te Chow, met en lumière des contributions exceptionnelles dans le domaine de la gestion de l'eau. Le «Crystal Drop Award» a été attribué à Claudia Sadoff, conseillère indépendante et membre du Pacific Institute du Center for Strategic and International Studies (CSIS), pour sa contribution remarquable à l'amélioration de la situation mondiale du secteur de l'eau. Quant au «Water Drop Award», il a été remis à Hassan Tolba Aboelnga, chercheur à l'Université des Sciences Appliquées de Cologne et expert international en sécurité hydrique et résilience climatique. Ce Prix salue l'innovation d'étudiants ou de jeunes professionnels (moins de 35 ans) dans le domaine de l'eau. Lors de la cérémonie, l'IWRA a également annoncé les lauréats du «Best Paper Award» pour les années 2023 et 2024. Le président de l'IWRA, Yuanyuan Li, a souligné que ces distinctions visent à promouvoir et encourager l'innovation scientifique dans le secteur de l'eau.