Interdiction potentielle de TikTok: Les Etats-Unis demandent une procédure accélérée    Canada-Maroc: le rôle de la diplomatie scientifique mis en lumière à Ottawa    France/Maroc: Signature d'un accord relatif à la coproduction et aux échanges cinématographiques    Enseignement supérieur : 120 millions € de la BAD au programme UM4.0    Bourse de Casablanca: Une semaine dans le rouge    La Chambre des Représentants en passe d'exclure certains parlementaires    Rabat et Madrid veulent créer des chaires pour lutter contre les stéréotypes anti-marocains    Myanmar : L'instabilité politique retarde le rapatriement des Marocains détenus    Coupe de la CAF: Au complet, la RSB à un match d'un 3è sacre    Bundesliga : Leverkusen termine la saison invaincu, un record    JPO de la DGSN: Immersion dans l'expérience du séisme d'Al Haouz    Casablanca: mise en échec d'une opération de trafic d'une importante quantité de psychotropes    L'INDH célèbre 19 ans de progrès : Appel à faire de l'enfant un axe central    10ème Forum mondial de l'Eau en Indonésie: M. Akhannouch préside la délégation marocaine    Bensaid rencontre Dati: Vers une collaboration culturelle renforcée    SIEL-2024 : Remise du 10ème Prix national de la lecture    Rachida Dati visite le pavillon marocain au Festival de Cannes    Message de condoléances de Sa Majesté le Roi à la famille de feu Haj Ahmed Pirou    Morocco's medical cannabis market could reach 6.3 billion dirhams by 2028    Moroccan asylum seeker jailed for 45 years for stabbing man in revenge for Gaza war    Eliminatoires Mondial féminin : Le Maroc U17 bat l'Algérie et se qualifie au dernier tour    C24: L'Union des Comores réaffirme son soutien au plan d'autonomie    Coupe de la CAF (finale retour): La RS Berkane à un pas d'un troisième sacre    Golf: Schauffele s'empare de la première place du PGA Championship    Crédit du Maroc : acquisition de 33,33% de CDM Leasing et Factoring    Omar Hilale dénonce les pressions de l'ambassadeur algérien sur les délégations soutenant la marocanité du Sahara à Caracas    La DGSN lance la nouvelle plateforme « E-Blagh » pour la lutte contre la cybercriminalité    Littérature. Un nouveau-né captivant de Hind Berradi    Festival international d'équitation Mata : Une 12è édition pour célébrer un patrimoine ancestral    Roundup : Récit d'un piège cruel tendu aux Marocains séquestrés au Myanmar    Le CSPJ publie le premier numéro de la "Revue du Pouvoir judiciaire"    L'Humeur : La grande générosité de l'UM6P    Botola D1/Mise à jour. J27 : RCA-RSB vendredi prochain à Berrechid    Finale ''aller'' Ligue des Champions de la CAF: Ce soir ''Espérance-Ahly'', heure ? Chaînes ?    Aurores boréales au Maroc : Sur les traces scientifiques d'une tempête solaire [INTEGRAL]    Météo: les prévisions du samedi 18 mai    African Lion 2024: Fin du cycle académique, place à l'action    Boujdour: Ait Taleb lance les services de six centres de santé urbains et ruraux    Double échec diplomatique algérien à Manama et à Caracas    Sahara/C24: La Gambie réaffirme son "ferme soutien" à la souveraineté et à l'intégrité territoriale du Maroc et à l'initiative d'autonomie    Eliminatoires CdM féminine U17: Le Maroc bat l'Algérie 4-0    Le Club Med et la SMIT s'allient pour révéler les joyaux cachés du Maroc rural    Coopération sécuritaire internationale: le président d'Interpol salue le leadership du Maroc    L'ambassadeur Amrani rencontre Ajay Banga: ferme volonté de renforcer la coopération entre la Banque mondiale et le Maroc    Caftan Week. Siham El Habti : « Ma collection est inspirée des villes impériales du Maroc »    Bank of Africa désignée la banque partenaire la plus active de la BERD en 2023    Rwanda. La période électorale est ouverte    SIEL 2024 : Le monde de la culture marocaine rend hommage à Lahcen Zinoun    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



La scène désormais orpheline du « Molière du Maroc »
Publié dans Maroc Diplomatique le 14 - 03 - 2016

Le vendredi 5 février 2016, le théâtre marocain s'est vu amputé de son âme. Orphelin, il l'est désormais après la disparition du grand Tayeb Saddiki, ce monument infrangible de la scène arabe. Nombreux sont ceux qui ignorent que derrière le talentueux dramaturge et le maestro du théâtre se cache discrètement un calligraphe de grande pointure. Femmes et hommes, grands et petits, officiels et citoyens lambda se sont trouvés côte à côte au cimetière Chouhada, ce triste samedi 6 février pour dire adieu au vétéran de la scène culturelle et artistique arabe qui a perdu l'un de ses grands piliers en la personne du doyen du théâtre marocain et arabe. Une étoile s'est éteinte, un édifice s'effondre, la scène arabe et le monde des arts sont en deuil...
Un artiste dans l'âme
Sorti des entrailles de la terre des arts et de la médina multiculturelle un 5 janvier 1939, Tayeb Saddiki est une icône au cachet original, imprégné d'authenticité, de sensibilité et de valeurs universelles. Pour poursuivre ses études secondaires, il s'installe à Casablanca où le dramaturge André Voisin le repère, lors d'un stage d'art dramatique organisé par le ministère de la Jeunesse et des sports et le prend sous son aile en faisant de lui son assistant-interprète au milieu des années 1950. Après son baccalauréat, il s'envole pour la France afin de poursuivre des études théâtrales avec son professeur Hubert Gignoux et se perfectionner dans l'art dramatique à Rennes mais aussi à l'Ecole supérieure d'art dramatique de Strasbourg. Ses prestations ne passent pas inaperçues et Jean Vilar, alors directeur du Théâtre national populaire à Paris l'hébergera chez lui de 1957 à 1959. De retour à Casablanca, il débutera sa carrière dans l'art de la magie avec la troupe centrale du Maroc et s'inspirera de son expérience dans l'Hexagone lorsque le syndicat de l'UMT (Union marocaine du travail) lui demande de fonder le théâtre ouvrier en 1960 à Casablanca. C'est là qu'il se lance dans le théâtre travailliste puis le théâtre municipal à la façon de « l'illustre théâtre » qu'il fonde pour le triomphe de l'art dramatique. Et s'affaire juste après à former des troupes professionnelles, notamment « le théâtre ambulant », « le théâtre ouvrier » et finalement le « théâtre des gens » avant d'arriver à la direction artistique du Théâtre national Mohammed V en 1964, puis en tant que directeur général du Théâtre municipal de Casablanca jusqu'à 1977. Ensuite chargé de mission auprès du ministre d'Etat chargé du Tourisme en 1980 et 1982.
Artiste aux facettes et aux talents multiples, il avait plus d'une corde à son arc. Il était dramaturge, réalisateur, metteur en scène, acteur, poète et peintre calligraphe. Il a exposé un peu partout dans le monde et compte à son actif plus d'une vingtaine d'expositions en Tunisie, au Koweït, au Qatar, à Oman puis en France, au Canada et en Belgique où ses toiles séduisaient par leur originalité et leur symbolique.
Sans Tayeb Saddiki, le théâtre marocain n'aurait pas existé
En grand dramaturge, Tayeb Saddiki a tenu à partager et à transmettre son savoir dont lui seul avait le secret, sa vision globale du monde et sa conception des choses aux jeunes comédiens et dramaturges durant toute sa vie avec ce souci qui lui est propre de leur apprendre les métiers du théâtre et d'assurer la relève afin d'asseoir le socle du théâtre national sur de bonnes bases qui lui assureraient richesse et qualité. Ce géant de l'art est l'un des pionniers fondateurs du théâtre populaire dont il représente le symbole et l'incarnation. Il a représenté avec brio le théâtre marocain dans les quatre coins du monde en associant et harmonisant avec doigté les formes classiques et traditionnelles aux exigences contemporaines. Attaché à ses origines et à sa ville natale, il s'investit dans la vie culturelle d'Essaouira et fonde, en 1980, le festival musical d'Essaouira. Vingt ans après, il lance son théâtre dans le quartier CIL de la métropole économique et dote ainsi le Royaume de son premier théâtre privé. Ses chefs-d'œuvre d'une dimension universelle ont donné le ton aux planches marocaines dont les lattes garderont pour toujours les pas de ce géant et traceront le sentier que suivront des générations à venir. Tayeb Saddiki a créé, sans conteste, un univers dramatique qui porte son empreinte et qui lui restera propre.
Maîtrisant aussi bien l'acte que le verbe, le Molière du Maroc s'est distingué par des pièces qui mêlent le comique, le pathétique et la critique. Du rire, il faisait une arme pour combattre les mœurs et les travers de la société. Talentueux dramaturge, il a écrit toutes sortes de pièces allant même jusqu'à inventer son genre qui mêle la mimèsis, le zajal, les traditions orales de « la halqa » plongeant les spectateurs dans l'univers luxuriant des troubadours. Aussi fera-t-il de l'histoire la force de son théâtre. Image parfaite d'un artiste complet qui a pour longtemps côtoyé Jacques Brel durant les années 60, il a mis des groupes de renom tels que Nass El Ghiwane ou Jil Jilala sur les premières marches de la célébrité en les faisant participer à ses pièces.
Metteur en scène de grands textes de la littérature arabe ou des principales pièces du théâtre mondial traduites dans la langue arabe, il a marqué l'histoire du théâtre et de la scène avec, mine de rien, plus de 80 pièces de théâtre dont il a été le metteur en scène. Il est l'auteur de 36 adaptations de pièces étrangères dont « L'Avare » et de 24 pièces originales, 18 écrites en collaboration. Avant-gardiste et convaincu que l'art doit hisser le public vers le haut, vers le sublime et vers l'intelligence, ses productions mêlent minutie, narration, professionnalisme, émotion, inventivité, audace et intelligence. Grâce à son approche innovatrice et révolutionnaire dans sa façon d'appréhender l'art et la scène, Tayeb Saddiki aura réinventé et concilié le public avec le monde des planches. Du classique à l'absurde, d'Eugène Ionesco à Molière en passant par Beckett pour arriver à Gogol, il a façonné les contours de la scène théâtrale en la ponctuant de fresques traditionnelles consacrées à l'histoire marocaine, almoravide, saadienne ou alaouite, d'un patrimoine foisonnant qui a inspiré, dans un style novateur, la grande œuvre du patrimoine exclusivement marocain du Diwane Sidi Abderrahmane Al Majdoub ou Abou Nawass ou encore la Bataille de Zellaqa tout en réinventant et en remettant au goût du jour certains grands textes arabes, tel « Maqamat Badii Ezzamane El Hamadani ». Il a aussi publié ses œuvres théâtrales « Le dîner de gala » (1990), « Les sept grains de beauté » (1991), « Molière ou l'amour de l'humanité » (1994), « Nous sommes faits pour nous entendre » (1997), « Eléphant et pantalons » (1997). Il a également joué dans plus de 18 films comme dans « Arrissala » de Mostafa Al Akkad (1976) et dans « La prière de l'absent » de Hamid Benani (1995). Il a réalisé pour le cinéma 4 courts-métrages et un long-métrage en plus d'une dizaine de documentaires. Chroniqueur dont la plume était acerbe et tranchante, ses articles se lisaient avidement dans la revue « Souffles ». Avec cette figure emblématique de la vie culturelle, artistique et intellectuelle du Maroc, le théâtre a fait son bond magique dans le monde du théâtre raffiné et de qualité en imposant une conceptualisation nouvelle de la vie et des règles de cet art basée sur la curiosité constructive, le regard profond et visionnaire et la liberté de penser d'un penseur libre.
Un palmarès hallucinant pour l'auteur du Majdoub
Des consécrations pour un héritage qu'il nous laisse en partage, Tayeb Saddiki en a eu beaucoup.
En 1976, il reçoit le Ouissam Al Massira des mains de Hassan II à l'occasion de la Marche verte. Trois ans plus tard, il est nommé Chevalier des Arts et des Lettres par la République française. En 1984, son long-métrage « Zeft » lui vaut le Prix de la Première œuvre aux Journées cinématographiques de Carthage. Par la suite, le Roi Mohammed VI lui décerne l'illustre décoration du Ouissam du mérite intellectuel. Il est depuis 1983 officier de l'ordre des Arts et des Lettres, en France.
Plusieurs artistes et comédiens marocains et arabes ont marché dans les pas de ce monument national, ce père ou guide spirituel de tous ceux qui partageaient sa passion et son amour pour le théâtre.
Ce monument géant a tiré sa révérence à l'âge de 79, des suites d'une longue maladie après avoir passé la majeure partie de sa vie sur les planches qui vibraient sous sa voix de stentor. « Al Harraz », « Badii Ezzaman Al hamadani » et bien d'autres titres ont donné au théâtre national ses lettres de noblesse et scellé l'unicité d'un art varié et riche dont l'empreinte restera à jamais dans un patrimoine universel arabe. Ce géant des planches s'en est allé en laissant en legs un patrimoine énorme mais aussi une fondation qui porte son nom pour assurer la promotion des jeunes artistes et assurer la continuité d'un art noble auquel il a consacré toute sa vie.
Ce qui est tout de même regrettable c'est que ce grand homme de théâtre engagé jusqu'à la moelle, jalousé et calomnié par certains qu'il dérangeait puisqu'il n'avait pas peur de parler et surtout de signer ses propos, a vécu des moments de solitude durant sa longue maladie. Hormis sa famille et son petit cercle restreint, personne ne lui rendait visite. Encore plus désolant que ses travaux de grande qualité et richesse soient mis au fond des tiroirs depuis de longues années à telle enseigne que son répertoire reste méconnu de la jeunesse marocaine.
Le théâtre au Maroc c'était Tayeb Saddiki. Le rideau tombe ! Tayeb Saddiki a quitté la scène pour de bon...


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.