Tandis que les Etats du Sahel cherchent à redéfinir leurs alliances, un faisceau d'indices accable l'Algérie. Loin de l'image du médiateur impartial qu'elle cultive depuis des décennies, Alger apparaît de plus en plus comme un acteur central dans l'enchevêtrement stratégique entre terrorisme, séparatisme et diplomatie d'influence. C'est cette trame que met en lumière une enquête explosive du média américain Newslooks, révélant les liens troubles entre le régime algérien et plusieurs figures clés du djihadisme sahélien. Au cœur du désert, entre Tamanrasset et Kidal, s'étend une frontière géographique autant que stratégique. Une zone de tous les trafics et de toutes les manipulations, dans laquelle l'Algérie semble avoir choisi une doctrine de double jeu : d'un côté, la parole diplomatique, de l'autre, la realpolitik des réseaux obscurs. C'est par le biais d'un personnage énigmatique, Amari Saïfi – alias Abderazak El Para – que le récit de Newslooks prend une dimension saisissante. Ancien officier des forces spéciales algériennes, passé sans transition dans les rangs du GSPC devenu AQMI, El Para orchestre dès 2003 l'enlèvement de 32 touristes européens. Une opération qui inaugure l'ère du « djihad-rançon » au Sahel. Capturé puis extradé vers la Libye, jamais jugé, El Para reste un mystère vivant. Selon le média américain, il bénéficierait encore aujourd'hui de la protection bienveillante de l'appareil militaire algérien. Un privilège rare pour un homme accusé d'avoir trempé dans assassinats, attentats et trafics. Un détail troublant vient renforcer cette proximité : El Para fut dans les années 1990 le chef de la garde personnelle du général Khaled Nezzar, figure tutélaire de la sécurité algérienne. L'interpénétration entre les élites sécuritaires et les réseaux terroristes semble alors moins accidentelle que structurelle. Autre figure centrale évoquée dans l'enquête de Newslooks: Iyad Ag Ghaly. Ancien rebelle touareg, fin diplomate, chef religieux, il est aujourd'hui l'un des visages les plus redoutés du djihadisme au Sahel. À la tête du groupe Ansar al-Din, puis de la coalition Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (JNIM), Ag Ghaly bénéficie, selon le quotidien Al Akhbar et d'autres sources sécuritaires, d'un appui discret mais constant de l'Etat algérien. Pourquoi Alger couvrirait-il un tel profil ? Parce que l'ennemi d'un ennemi peut devenir un instrument d'équilibre. En canalisant la révolte touarègue vers une dynamique religieuse, Alger empêcherait l'émergence d'un véritable Etat indépendant dans l'Azawad, menace existentielle pour ses provinces du sud. La frontière algéro-malienne, longue de plus de 1 300 kilomètres, constitue l'une des artères logistiques les plus vitales pour les groupes armés sahéliens. Armes, hommes, carburant y transitent avec une régularité troublante. Les analystes y voient la mise en œuvre d'une stratégie de « feu contenu » : attiser les conflits pour mieux s'y poser en arbitre incontournable. Depuis 2012, cette mécanique a permis à Alger de s'imposer dans les processus de paix, tout en restant en retrait d'une véritable guerre contre le terrorisme, rappelle le média. Le Polisario, pièce de l'échiquier algérien dans le Sahara et au Sahel Mais le tableau serait incomplet sans évoquer le rôle du Polisario, ce mouvement séparatiste sahraoui historiquement soutenu par Alger. Plusieurs ex-combattants de cette organisation ont été repérés dans les rangs de groupes armés sahéliens. Selon diverses sources sécuritaires entendues par Newslooks, des connexions existent entre le Polisario et certains groupes armés affiliés à al-Qaïda, notamment Al-Mourabitoun, une organisation fondée par Mokhtar Belmokhtar. Ce dernier a notamment fusionné ses forces avec le MUJAO (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest), actif dans la zone des trois frontières. Le croisement de trajectoires entre figures djihadistes sahéliennes et ex-combattants du Polisario soulève des interrogations sur le rôle de Tindouf, fief du mouvement, comme éventuelle base arrière de repli ou de transit. L'Algérie, par sa proximité avec ces structures, apparaît ainsi comme un acteur stratégique autant que tactique dans un Sahel livré aux jeux d'influence. Loin des déclarations convenues sur la lutte contre le terrorisme, le comportement de l'Algérie pose une question fondamentale : peut-on être à la fois pompier et pyromane ? En entretenant des liens ambigus avec des chefs de guerre, en couvrant d'anciens officiers devenus terroristes, et en utilisant les conflits régionaux comme levier diplomatique, Alger compromet tout espoir d'une stabilisation durable au Sahel. L'Union africaine à l'épreuve de la duplicité algérienne Cette posture duale a fini par rattraper Alger sur le plan institutionnel. Membre influent du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, l'Algérie continue de revendiquer un rôle d'équilibriste diplomatique hérité des luttes de libération. Mais cette image s'effrite. Car derrière les murs d'Addis-Abeba, de plus en plus de voix s'élèvent pour dénoncer la duplicité d'un pays qui prétend combattre le terrorisme tout en entretenant ses vecteurs. L'influence algérienne a longtemps empêché une reconfiguration réaliste du dossier saharien au sein de l'Union. L'imposition du Polisario comme entité fondatrice de l'Organisation de l'unité africaine a figé les débats, verrouillant toute solution consensuelle. Aujourd'hui, cette inertie diplomatique favorise les lignes de fracture entre Etats membres. D'autant plus que le Sahel se détourne progressivement de ces formats collectifs. Face à cette impasse, les dynamiques évoluent. L'Alliance des Etats du Sahel (AES), créée par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, incarne cette volonté de reprendre la main sur leur sécurité, à l'écart des circuits traditionnels. En parallèle, le Maroc, fort de sa stabilité, de ses partenariats atlantiques et de son ambition continentale, s'impose comme un contre-modèle. Son absence d'ambiguïté dans la lutte contre le terrorisme, son engagement pour une coopération économique et son ancrage diplomatique cohérent séduisent de plus en plus de partenaires africains. Dans ce nouveau paysage, l'Algérie se retrouve en porte-à-faux. Elle continue de jouer une partition solitaire, héritée des logiques de la guerre froide, fondée sur la manipulation des conflits, le parrainage d'acteurs non étatiques et la défense d'agendas bilatéraux déguisés en missions panafricaines. Mais l'heure des recompositions approche. Et avec elle, la fin possible d'un système de duplicité qui a trop longtemps compromis la paix au Sahel.