Réunis à Rabat, chercheurs, experts et responsables ont posé les jalons d'une réflexion stratégique sur l'avenir de l'Afrique atlantique. Entre mémoire historique, impératifs géopolitiques et urgences logistiques, les contours d'un espace intégré restent à construire. Le Policy Center for the New South a donné rendez-vous à la géopolitique maritime. Pour la deuxième édition de sa conférence dédiée aux enjeux stratégiques des espaces maritimes atlantiques, l'institution marocaine a réuni des experts africains et internationaux autour d'un thème ambitieux : « L'Afrique atlantique, ambition d'intégration et processus d'opérationnalisation ». Objectif : faire émerger une pensée structurée sur un espace trop souvent fragmenté, en examinant les dynamiques d'intégration entre l'Afrique de l'Ouest, le Maghreb et les pays riverains du Sud. Dès le premier panel, la conférence s'est attelée à une question de fond : comment forger une identité fédératrice dans l'espace atlantique africain ? Un exercice complexe tant les divergences institutionnelles, sécuritaires et économiques persistent, mais qui devient vital à l'heure où l'Afrique cherche à reprendre la main sur ses routes maritimes. La cartographie des opportunités abordée par les panélistes dessine un espace riche, encore trop peu valorisé. Amadou Tall, expert senior en gouvernance et économie bleue, a ouvert les débats par un retour aux origines historiques de l'Atlantique Sud. En retraçant les usages anciens de cette mer nourricière – des routes esclavagistes aux rivalités coloniales –, il a insisté sur l'urgence de reconquérir cette façade stratégique longtemps instrumentalisée. Le Maroc, a-t-il noté, joue un rôle de catalyseur dans ce renversement de paradigme, notamment à travers ses investissements portuaires et son implication dans les programmes continentaux comme la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Mais au-delà des infrastructures, c'est une architecture de gouvernance qu'il faut bâtir. Amadou Tall a alerté sur les lacunes normatives et institutionnelles qui grèvent les initiatives atlantiques. Il a plaidé pour une clarification des textes, une implication politique forte et une coordination sécuritaire accrue, en particulier dans le Golfe de Guinée. L'Agenda 2063 de l'Union africaine, tout comme les ambitions portées par le port atlantique de Dakhla, illustrent selon lui le potentiel d'un cadre africain capable de donner cohérence à ces ambitions. Cette nécessité de repenser les alliances régionales a également été soulignée par Abdelhak Bassou, Senior Fellow au Policy Center. Dans un contexte marqué par l'impasse d'intégration au Maghreb et une reconfiguration accélérée de l'Afrique de l'Ouest, le chercheur a proposé une lecture résolument atlantique de la coopération continentale. Face à la montée de l'extrémisme violent – des côtes béninoises au bassin du lac Tchad –, il a appelé à une synergie sahélo-atlantique, seule à même d'assurer une stabilité durable. Lire aussi : Afrique Atlantique : une mer, deux initiatives et une vision marocaine de l'intégration continentale Trois projets structurants cristallisent ces espoirs : le gazoduc Afrique Atlantique, le désenclavement du Sahel et le Processus atlantique. Pour Bassou, leur potentiel transformateur est réel, à condition qu'ils soient pensés de manière articulée et hiérarchisée. Sans une vision d'ensemble, le risque est grand de diluer les efforts et de rater l'occasion historique de bâtir un espace géopolitique cohérent. Le troisième intervenant, Zein El Abidine Med Salem, directeur des statistiques à la Banque centrale de Mauritanie, a apporté une perspective économique rigoureuse. À ses yeux, le potentiel stratégique de l'Afrique atlantique reste sous-exploité malgré sa proximité avec les grands marchés. Les ressources naturelles abondent, mais le commerce intra-africain stagne, les infrastructures logistiques sont fragmentées et les routes commerciales peu sécurisées. Pour y remédier, Med Salem a appelé à des stratégies d'intégration à la fois réalistes et inclusives. Il a insisté sur la nécessité de sécuriser les corridors commerciaux, d'améliorer la connectivité humaine et logistique, et de s'inspirer d'exemples concrets comme la route Kampala-Nairobi pour illustrer la transformation possible par les infrastructures. Mais au-delà des routes et des ports, a-t-il martelé, l'intégration passera par la reconnaissance des peuples, de leurs pratiques, de leurs langues et de leurs aspirations. À l'issue de cette journée dense, une conviction s'impose : l'Afrique atlantique ne manque ni de ressources ni de volonté, mais d'un récit commun et d'une gouvernance opérationnelle. Le Maroc, par son positionnement géographique, ses investissements dans les ports et sa diplomatie proactive, apparaît comme un acteur pivot. Toutefois, sans convergence politique entre les pays riverains, les promesses de l'espace atlantique risquent de rester lettre morte.