Il y a des hommes dont le départ n'est pas qu'un simple adieu, mais une déchirure dans la trame du temps. Quand Abdelhak El Mrini s'est éteint, ce n'est pas un homme que le Maroc a perdu, mais une mémoire vivante, un témoin d'Histoire, un souffle de dignité. Son nom résonne encore, tel un écho ancien, tissé de gravité et d'élégance, de cette rigueur subtile qui ne s'impose jamais, mais qui s'incarne dans le geste juste, la parole pesée, le regard empli d'humanité. À 91 ans, il a déposé la plume, laissant derrière lui un vide trop vaste, un silence épais, comme une houle de deuil sur tout un pays. Car perdre El Mrini, c'est perdre plus qu'un homme : c'est voir s'éteindre une lumière qui veillait sur nos récits, sur nos traditions, sur ce fil précieux qui relie l'instant aux siècles. Dans l'imaginaire des Marocains, El Mrini, c'était l'homme du protocole, le gardien des rituels, celui qui, inlassablement, portait la voix du Palais avec la dignité d'un scribe des âges. C'était la silhouette droite, discrète, au milieu des fastes, un témoin silencieux des serments et des secrets. Mais au-delà de ce costume d'apparat, il y avait l'homme : pudique, d'une bonté profonde, d'une humilité rare. Son regard – ce regard d'encre et de patience – portait la tendresse de ceux qui savent, mais qui n'écrasent pas. Quand on prononce son nom, c'est un parfum d'archives et de manuscrits qui s'élève, c'est la voix douce qui conte, sans jamais juger, l'histoire d'un pays debout, d'un peuple fier. El Mrini, c'était l'art de raconter sans ornement, la rigueur du mot juste, et la chaleur du cœur battant derrière chaque fait. Né en 1934, au cœur d'un Maroc qui se redessinait dans les entrelacs de l'Histoire, il fut d'abord un rêveur. L'uniforme l'attirait, la volonté de servir, d'être au front des batailles. Mais c'est à la pointe de la plume qu'il a choisi de combattre, transformant l'arme du verbe en rempart contre l'oubli. Dans les salles silencieuses des bibliothèques, il avait compris que l'Histoire est une étoffe fragile : qu'il faut l'ausculter, la préserver, la coudre patiemment, point après point. De la bibliothèque silencieuse où, enfant, il apprenait les lettres et l'Histoire, jusqu'aux fastes du Trône où il consignait les grandes heures du Royaume, il n'a jamais quitté cette quête : celle de la mémoire vivante. Il fut professeur, écrivain, historien, porte-parole du Palais... mais derrière ces titres officiels, c'est toujours l'homme qui se dessinait : discret, toujours à sa place, jamais à l'avant-scène. Il parlait peu, mais chaque mot avait le poids des siècles. Il savait écouter – les confidences des rois, les silences du pouvoir – et inscrire dans l'encre ce qui devait traverser le temps. LIRE AUSSI : Zoulikha Nasri: une femme d'action s'en va... Il était ce gardien des traditions, inlassable témoin des rituels millénaires, aussi bien en tant qu'ex-directeur du Protocole et de la Chancellerie qu'en tant que porte-parole du Palais et historiographe du Royaume. Mais derrière cette rigueur, derrière le poids des responsabilités, il y avait autre chose. Il y avait cette bonté, ce sourire discret, cette douceur presque timide qui se devinait dans son regard quand il parlait de sa mission. Il savait tout – des batailles de l'armée marocaine à la poésie délicate, de la condition des femmes aux secrets du protocole royal. Et pourtant, il ne revendiquait rien. Son érudition n'était ni une armure ni un piédestal : elle était un refuge, une fidélité, un humble serment. Il répétait, avec ce sourire timide, presque enfantin : « Je suis un élève dans la grande école de la vie. » Car au fond, il savait : la grandeur véritable ne s'exhibe pas, elle se vit en silence. Et puis, il y a ce jour de 1968, lorsqu'il reçut le Prix du Maroc du Livre pour son ouvrage magistral « L'armée marocaine à travers l'histoire ». Mais comme toujours, il se tenait en retrait, dans l'ombre de ceux qu'il admirait, refusant de faire de sa plume une arme d'orgueil. Il avait cette humilité qui le rendait si grand. Jamais il n'a fait de sa plume un étendard d'orgueil : il préférait l'ombre des bibliothèques aux lumières des honneurs. Il savait que les mots ont un poids, et il les maniait avec la précision d'un orfèvre, avec cette pudeur infinie qui éclaire sans jamais aveugler. Il avait traversé les époques, écouté les confidences des rois, observé les métamorphoses du Royaume comme un veilleur silencieux. Il n'était ni un homme d'apparat ni un homme de posture. Il était ce scribe fidèle, celui qui note, qui consigne, qui sauvegarde pour demain ce qui pourrait s'effacer aujourd'hui. Pour lui, l'Histoire n'était pas un trophée à exposer, mais une fidélité à transmettre. Il savait que les mots ont un poids, et il les maniait avec la précision d'un artisan du verbe. Sa mission ? Raconter, sans jamais trahir. Témoigner, sans jamais s'imposer. Protéger, sans jamais se mettre en avant. Il avait ce regard qui pétillait d'intelligence, mais qui se voilait d'une douceur presque timide lorsqu'il parlait de sa fonction. Derrière la rigueur de ses charges, derrière les lourdeurs du protocole, c'était un homme de cœur. Un homme qui savait dire « non » aux facilités, mais « oui » à l'humanité. Un homme qui savait que la grandeur d'un poste ne devait jamais faire oublier la bonté d'une âme. Il était de ceux qui, après avoir tout vu, tout entendu, tout lu, ne laissaient jamais paraître ni arrogance ni lassitude. Ce qui frappait chez El Mrini, c'était cette manière unique de parler du commandeur des croyants. Dans sa voix, le titre n'était pas une simple distinction : c'était un flambeau sacré, une fidélité viscérale à l'âme d'un peuple, un secret ancien transmis de génération en génération. Pour lui, le Maroc était plus qu'un pays : c'était une maison habitée d'histoires, de symboles, de silences à protéger. Et son œuvre, immense, n'était que cela : un chant d'amour pour ce qui nous unit, une prière discrète pour ce qui nous élève. Il parlait peu, mais quand il parlait, ses mots portaient. On lui doit des ouvrages précieux, des conférences vibrantes, des pages gravées dans nos mémoires collectives. Mais au-delà de l'encre et des mots, ce qu'on retient d'El Mrini, c'est cette élégance rare, cette politesse du cœur, ce respect de l'autre, cette foi inébranlable dans la noblesse des idées. Il avait ce don unique de conjuguer la rigueur du savoir et la chaleur humaine, de parler d'Histoire sans jamais oublier l'humain derrière les dates et les faits. Aujourd'hui, Rabat pleure, et le Maroc entier se recueille. Mais dans ce silence endeuillé, il reste ses livres, ses mots, ses silences éloquents. Il nous laisse une promesse : ne jamais cesser de transmettre, de raconter, de protéger cette mémoire vivante qui est l'âme de notre pays. Aujourd'hui, ses mots nous reviennent, comme une brise douce sur le visage, comme une promesse silencieuse : ne jamais oublier ce qui nous unit, continuer à raconter, à transmettre, à protéger cette mémoire vivante qui est le cœur battant du Maroc. Car un homme comme Abdelhak El Mrini ne meurt pas vraiment. Il demeure dans la pulsation des mots, dans le souffle des récits, dans l'éclat discret de ce qu'il a transmis. Il nous a appris, sans jamais le dire, que l'Histoire n'est pas une conquête, mais un acte d'amour. Et il nous appartient désormais de garder vivante cette flamme qu'il a allumée. Adieu, maître du verbe et de la mémoire. Tu as vécu pour que le Maroc se souvienne. À nous de veiller sur ton héritage, et de le transmettre, humblement, fidèlement, sans jamais trahir. Que Dieu t'accueille dans Sa lumière, là où les grands esprits retrouvent enfin le repos et la paix.