Il faut au moins lui reconnaître un talent : Abdelmadjid Tebboune a le sens de la mise en scène. Pas celui de la diplomatie, qu'il confond visiblement avec l'improvisation théâtrale, ni celui de la parole juste, mais un aplomb étonnant, presque fascinant. En Italie, il n'a pas défendu un point de vue, il en a prêté un à son hôte, comme on s'approprie une réplique dans une pièce mal écrite. Devant les caméras, avec un calme olympien, il a offert au monde une leçon de fiction diplomatique en direct. La scène se joue à Rome, mais elle aurait aussi bien pu se dérouler à Broadway. La salle est feutrée, le protocole est soigné, Giorgia Meloni, Première ministre italienne, est assise à ses côtés. Et soudain, dans un élan de lyrisme bien huilé, Tebboune annonce un « soutien commun » à la cause séparatiste sahraouie. Rien que ça. Sauf que... ce soutien n'existe nulle part. Ni dans les propos de Meloni, ni dans la Déclaration conjointe, où l'on trouve plutôt cette formule mesurée : une solution « mutuellement acceptable » sous l'égide de l'ONU. Autrement dit, la position du Maroc. Tebboune a donc osé ce qu'aucun chef d'Etat digne de ce nom n'aurait risqué : mentir ouvertement, sans cligner des yeux. Une performance diplomatique qui relève plus du théâtre burlesque que de la realpolitik. Mais à Alger, les faits ont toujours été secondaires. Une omission devient un engagement. Un silence devient un soutien. Et l'Italie, sans le savoir, se retrouve enrôlée dans une croisade séparatiste dont elle n'a jamais été partie. Il ne s'agit pas d'un dérapage. C'est une méthode. Une stratégie rodée, presque institutionnelle : quand la réalité gêne, on la tord. Quand les soutiens manquent, on les invente. Et quand les alliés se taisent, on les fait parler. À défaut de convaincre, on raconte. Diplomatie du mensonge ou méthode Tebboune ? Ce n'est ni un dérapage, ni une maladresse, c'est un système. À Alger, le mensonge diplomatique n'est plus un outil de circonstance mais une doctrine officieuse, assumée sans complexe. Lorsqu'aucun soutien n'est obtenu, on le fabrique. Lorsque les partenaires gardent le silence, on leur prête des phrases. Et lorsque la réalité ne colle pas au discours officiel, on la recompose, mot par mot. Ce n'est plus de la diplomatie, c'est du ghostwriting international. LIRE AUSSI : Tebboune marginalisé à Rome : L'Algérie confrontée à ses propres impasses diplomatiques L'agence algérienne de désinformation officielle – pardon, L'APS -, n'y voit rien à redire. Elle relaie, avec la ferveur d'un haut-parleur d'Etat, des récits qu'elle ne prend même plus la peine de questionner. Que Giorgia Meloni n'ait pas prononcé un mot sur le Sahara n'a guère d'importance, l'essentiel, c'est de faire croire qu'elle l'a pensé très fort. Tebboune, lui, ne recule devant rien. Il transforme les silences diplomatiques en soutiens tonitruants, réécrit les déclarations de ses homologues et déforme la réalité avec l'assurance tranquille de celui qui sait que, de toute façon, les médias à sa botte ne feront jamais de fact-checking. Avec le calme d'un illusionniste sûr de son numéro, il manipule le réel, convaincu qu'aucune rédaction nationale n'osera vérifier le texte d'origine. Car dans cette république de l'écho, on ne contredit pas le récit présidentiel — on l'amplifie. Kigali, épisode 2 d'une série prévisible La scène avait déjà été jouée quelques semaines auparavant, avec une mise en scène tout aussi bancale : Paul Kagame en invité de circonstance, et l'Algérie en scénariste enthousiaste. Le président rwandais, discret lors de sa visite à Alger, s'est pourtant vu offrir un rôle de choix... à son insu. À peine son avion redécollé, la machine s'emballe, la presse d'Etat s'empresse de brandir un soutien africain au « droit à l'autodétermination », présenté comme ferme, clair, et surtout... inexistant. Le temps d'un communiqué, Kigali devient soudain la capitale continentale du séparatisme. Mais voilà : le Rwanda, lui, parle. Et il parle vrai. Un démenti officiel, sec comme un couperet, remet les pendules à l'heure. Clair, sans détour, et sans la moindre ambiguïté. Un rappel brutal à la réalité, que le régime algérien accueille comme à son habitude, par un mutisme stratégique. On ne s'excuse pas, on ne corrige pas on ne répond pas, on tourne la page comme si elle n'avait jamais été écrite. Dans cette diplomatie de l'oubli volontaire, le mensonge n'est pas une erreur : c'est un levier. Il n'a pas besoin d'être crédible, seulement d'être dit — une fois, assez fort, pour faire illusion. Et s'il est démenti ? Tant pis. L'important, c'est qu'il ait existé... l'espace d'un titre. La diplomatie de la contradiction À force de vouloir jouer tous les rôles à la fois, Alger finit par ne plus savoir lequel elle joue. Sur le dossier du Sahara, la diplomatie algérienne oscille sans boussole, passant tour à tour de « partie concernée » à « simple voisin », de « soutien moral » à « observateur distant mais inquiet ». Un exercice de contorsion géopolitique qui laisse perplexes... même ses auteurs. Le discours change avec le tapis rouge, la langue de l'hôte et la météo politique du moment. Un sommet africain ? On monte au créneau. Une réunion onusienne ? On prend du recul. Un micro tendu ? On enfile la casquette de « partie non-partie ». Une seule constante : ne jamais dire clairement ce que tout le monde sait – que l'Algérie est un acteur de premier plan dans ce différend. À ce jeu d'ambiguïtés, le régime agit comme un comédien en scène sans texte, improvisant selon l'éclairage et le regard du public. Mais le numéro s'essouffle. Et dans les coulisses de la diplomatie mondiale, plus personne ne croit à ce théâtre mal rodé. Sortir de l'impasse ? Une évidence que l'Algérie refuse La scène de Rome n'était pas qu'un énième cafouillage diplomatique. C'était un symptôme. Un symptôme d'un régime en rupture avec le réel, prisonnier de son propre récit, incapable d'articuler un contre-discours cohérent face à l'élan que connaît l'initiative marocaine d'autonomie. Pourtant, la sortie de crise est connue. Et elle n'a rien de révolutionnaire. Il suffit d'une chose : accepter de jouer le rôle que l'on assume déjà en coulisses. Non plus en figurant muet ou en illusionniste à la tribune, mais en acteur responsable, prêt à parler vrai. Cela signifie revenir à la table des négociations, non pas pour réciter des postures, mais pour reconnaître que l'autonomie est aujourd'hui l'unique issue sérieuse, équilibrée et viable. Ce n'est plus un débat, c'est une évidence diplomatique. Tout le monde le sait. Tout le monde le dit. Sauf Alger, qui fait mine de ne pas entendre. L'initiative marocaine est là, sur la table, portée par les grandes capitales, appuyée par les institutions, saluée pour son réalisme. Il ne s'agit plus de convaincre la communauté internationale, elle l'est déjà. Il s'agit que l'Algérie accepte, tout simplement, de revenir sur terre. Mais cela supposerait du courage, de la lucidité, et un brin de sens de l'Etat. Trois qualités que l'on cherche encore, en vain, dans les scénarios écrits par Tebboune. Pour l'instant, le président préfère la sécurité du mirage à l'inconfort de la vérité.