Malgré les promesses de souveraineté économique, la déroute de Brandt illustre l'échec des politiques industrielles algériennes, entre protectionnisme inefficace, blocages structurels et dépendance aux hydrocarbures. Dix ans après son rachat par le groupe Cevital, le fabricant d'électroménager Brandt peine toujours à émerger de l'ornière. Loin de devenir le fer de lance d'une renaissance industrielle algérienne, cette marque historique, acquise en 2014 après la faillite de FagorBrandt, incarne désormais les impasses d'un modèle économique miné par l'interventionnisme étatique, l'instabilité réglementaire et une stratégie de substitution aux importations sans fondement industriel solide. Au lieu de se positionner comme acteur d'envergure sur les marchés nord-africain et européen, Brandt traverse une phase de stagnation chronique. La légère reprise évoquée ces derniers mois ne suffit pas à masquer les pertes accumulées ni la paralysie opérationnelle. Les chaînes de production restent bridées par des restrictions à l'importation de composants essentiels, les transferts bancaires sont soumis à des lenteurs kafkaïennes, et l'entreprise évolue dans un environnement économique marqué par une imprévisibilité réglementaire constante. Le cas Brandt n'a rien d'anecdotique. Il révèle les carences systémiques d'un tissu industriel que le pouvoir algérien ne parvient ni à structurer ni à libérer de l'étreinte administrative. Derrière les slogans de relance industrielle et de souveraineté productive se cache une réalité plus austère : en 2024, la contribution de l'industrie manufacturière au PIB restait inférieure à 6 %, selon les données de la Banque mondiale, loin derrière la moyenne africaine. Le secteur industriel algérien, hors hydrocarbures, demeure marginal, peu compétitif et fortement dépendant des allocations budgétaires. Lire aussi : Algérie–Sahel : Une stratégie diplomatique en perte de vitesse Le paradoxe est d'autant plus criant que l'économie algérienne a enregistré une croissance de 4,1 % en 2023, selon le Fonds monétaire international (FMI), portée presque exclusivement par les recettes gazières et pétrolières. Mais cette manne, volatile par nature, alimente un modèle rentier peu enclin à la diversification. Loin d'être réinvestis dans une transformation productive, les excédents fiscaux servent essentiellement à maintenir des subventions généralisées, notamment sur les produits de base et l'énergie, créant une économie d'assistanat plus qu'un tissu entrepreneurial autonome. Cevital et les illusions d'un capitalisme d'Etat Cevital, fleuron du capitalisme algérien privé, devait incarner une nouvelle génération d'industriels. Pourtant, le destin contrarié de Brandt révèle les limites d'un groupe qui, malgré des moyens considérables, reste soumis aux humeurs du politique. La tentative de faire de l'usine de Sétif un hub régional de production – avec une capacité affichée de 8 millions d'appareils par an – s'est heurtée à une logique d'arbitrage centralisé, dans laquelle l'initiative privée demeure capturée par les réseaux d'allégeance et de rente. Cette collusion entre intérêts industriels et logiques bureaucratiques débouche sur une gestion sans cap stratégique, où les projets industriels deviennent otages de décisions administratives opaques. La fermeture temporaire des lignes de production, l'impossibilité d'exporter, les tensions avec les douanes ou encore les délais de dédouanement interminables finissent par saper toute viabilité économique. Dans ces conditions, Brandt ne produit ni pour le marché local, freiné par le recul du pouvoir d'achat, ni pour l'export, inexistant faute d'accords commerciaux structurants et d'alignement aux normes internationales. L'Algérie souffre d'un déficit de vision industrielle aggravé par une dépendance à l'extraction. Les hydrocarbures continuent de représenter 92 % des recettes d'exportation et 39 % du PIB, selon les chiffres de la Banque mondiale. Le déficit budgétaire a atteint 13,9 % du PIB en 2024, selon la même institution, obligeant le gouvernement à puiser massivement dans le Fonds de régulation des recettes, dont les réserves se sont effondrées.