L'industrie mondiale de la gestion d'actifs vit un tournant stratégique. Après une décennie d'expansion alimentée par des taux d'intérêt exceptionnellement bas, une croissance économique régulière et des marchés financiers porteurs, la dynamique s'essouffle. Selon McKinsey, entre 2019 et 2023, les marges opérationnelles avant impôt ont reculé de trois points en Amérique du Nord et de cinq points en Europe, tandis que les coûts, stimulés par l'inflation et la volatilité des marchés, augmentaient plus rapidement que les revenus. Les dépenses technologiques, en hausse annuelle moyenne de 8,9 % sur la période, absorbent désormais une part croissante des budgets, sans pour autant se traduire par des gains de productivité significatifs. L'adage de Robert Solow trouve ici une résonance particulière : « On voit la technologie partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Face à l'érosion des marges, l'intelligence artificielle – qu'il s'agisse de l'IA générative ou de l'IA « agentique » – s'impose comme un levier déterminant. McKinsey estime que son adoption pourrait représenter un gain d'efficacité équivalent à 25 à 40 % de la base de coûts d'un gestionnaire d'actifs moyen, à condition d'en faire un instrument transversal et non un projet isolé. Parmi les cas d'usage prioritaires : optimisation des flux de distribution, automatisation de la conformité, refonte des processus de gestion de portefeuille ou encore accélération du développement logiciel. Un gestionnaire disposant de 500 milliards de dollars d'actifs sous gestion pourrait ainsi récupérer des marges substantielles tout en réduisant ses risques opérationnels. Lire aussi : Le Maroc parmi les acteurs influents de la dynamique internationale en matière de gouvernance de l'IA Pour tirer pleinement parti de cette révolution, McKinsey identifie six piliers essentiels : transformation par domaine, stratégie RH adaptée à l'IA, optimisation du modèle opérationnel, maîtrise de la feuille de route technologique, gouvernance des données et conduite du changement. Les leaders de l'industrie tendent vers une gouvernance centralisée – une « tour de contrôle » stratégique – combinée à une capacité de déploiement agile dans les unités opérationnelles. Le Maroc face à l'opportunité technologique Au Maroc, la gestion d'actifs reste dominée par les OPCVM, avec une forte concentration sur les produits obligataires, reflet de la structure du marché et du profil de risque des investisseurs institutionnels. Si les acteurs locaux bénéficient d'une croissance régulière des encours, ils doivent composer avec des marges relativement comprimées et une intensité réglementaire accrue. L'adoption de l'IA pourrait offrir un double avantage notamment le renforcement la compétitivité face aux standards internationaux, notamment en matière de personnalisation des services et de rapidité d'exécution, mais aussi la réduction des coûts opérationnels liés à la conformité, à la gestion des données et à la production de reportings réglementaires. Casablanca Finance City (CFC) pourrait jouer un rôle de catalyseur en facilitant l'intégration d'outils analytiques avancés, en particulier pour les gestionnaires visant une clientèle africaine ou internationale. Si le potentiel est manifeste, l'intégration de l'IA ne peut être perçue comme un simple ajustement technique. Elle nécessite un investissement initial conséquent, une refonte des modèles opérationnels et une montée en compétence rapide des équipes. Pour les gestionnaires marocains, l'enjeu est d'autant plus stratégique que la concurrence régionale se renforce – notamment en Afrique du Sud, au Kenya et en Egypte – et que la clientèle institutionnelle devient plus exigeante en termes de transparence, de reporting et de performance ajustée au risque. À horizon 2030, ceux qui réussiront à conjuguer discipline opérationnelle, maîtrise des données et innovation technologique pourront non seulement défendre leurs parts de marché, mais aussi devenir des références régionales. Dans cette perspective, l'IA apparaît moins comme une option que comme une condition de survie et de différenciation.