En 2024, le marché du marketing d'influence au Maroc a atteint 420 millions de dollars, en hausse de 40 % par rapport à 2022. Nés à l'ombre des likes et des vues et portés par l'explosion des réseaux sociaux, les influenceurs marocains occupent désormais une place de choix dans le paysage numérique. Entre partenariats commerciaux lucratifs, mobilisation citoyenne et dérives éthiques, leur impact suscite autant d'adhésion que de controverses. En quelques années, les influenceurs sont passés de simples figures de divertissement à des acteurs économiques au Maroc. Avec un marché estimé à 4,2 milliards de dirhams en 2024, en hausse de 40 % par rapport à 2022, l'économie de l'influence représente désormais 15 % du e-commerce national, selon une étude publiée par la société DigiTrends en 2025 et relayée par les médias en mai 2025. Un chiffre vertigineux qui atteste de la montée en puissance de ces créateurs de contenus dans l'écosystème numérique du pays. Mais derrière ce succès apparent se cache une réalité plus complexe, faite de dérives, d'ambiguïtés réglementaires et de tensions croissantes entre business, engagement et éthique. En 2024, le Maroc comptait près de 20 000 influenceurs actifs, selon les chiffres de SEOmaniak publiés le 4 novembre 2024. Leur profil est varié, allant du micro-influenceur, souvent plus proche de sa communauté, au « macro » ou « méga-influenceur », suivi par des millions d'abonnés. Ce vivier numérique façonne désormais les comportements de consommation, puisque 70 % des jeunes marocains disent être influencés par leurs recommandations lors d'un achat, selon la même source. Avec un taux d'engagement moyen de 3,5 %, supérieur à la moyenne mondiale de 1,9 %, ces personnalités du web offrent aux marques une portée qu'aucune campagne publicitaire classique ne peut égaler. En fait, cela s'explique par une proximité linguistique, culturelle et sociale avec le public, couplée à l'utilisation de formats courts et immersifs comme les Reels d'Instagram ou les vidéos TikTok. D'ailleurs, TikTok comptait 10 millions d'utilisateurs actifs au Maroc en 2024, devant Instagram et ses 6 millions d'utilisateurs, indique SEOmaniak. Ces plateformes sont devenues des vitrines commerciales où le naturel affiché est souvent une stratégie millimétrée. Lire aussi : Les influenceurs, un casse-tête fiscal pour le Maroc Un métier sans statut clair... Le revers de cette croissance spectaculaire : un vide juridique et fiscal que les autorités commencent tout juste à combler. Jusqu'en 2024, aucune législation n'encadrait clairement les revenus des influenceurs ni les responsabilités qui leur incombent. Particulièrement, la loi de finances 2025 marque une rupture. Désormais, les influenceurs doivent déclarer tous leurs revenus issus de la publicité, du sponsoring ou de l'affiliation, avec une imposition pouvant atteindre 30 %, selon les médias. Les transferts d'argent de l'étranger seront surveillés, et une cellule spéciale de contrôle a été instaurée. Mais, selon les mêmes sources, cette régulation arrive tard, et son efficacité reste à démontrer. L'administration fiscale est confrontée à des fraudes massives, souvent avec la complicité d'entreprises qui paient les influenceurs en espèces ou via des virements non déclarés. Chaque transaction non enregistrée représenterait entre 20 000 et 100 000 dirhams de manque à gagner pour l'Etat. Normalisation de l'incompétence derrière cette réussite apparente se dessine une réalité plus préoccupante, notamment celle de la normalisation de l'incompétence et de la disparition progressive de la notion de métier durable. L'influence, devenue synonyme d'argent facile et de visibilité instantanée, éclipse la valeur du travail construit sur le long terme. Beaucoup de jeunes, fascinés par le succès numérique, abandonnent des parcours professionnels structurés pour se lancer dans une aventure souvent précaire, sans filet ni formation. Pire encore, plusieurs études relayées par les médias ont affirmé l'émergence de « mini-influenceurs », des enfants mis en avant par leurs parents sur les réseaux sociaux, parfois dès leur plus jeune âge, dans une logique marchande qui frôle l'exploitation. Ce phénomène, encore non encadré par une législation claire au Maroc, pose des questions fondamentales sur la responsabilité parentale, le droit à l'enfance et les dérives du capitalisme numérique. Dans cette course effrénée à la visibilité, le contenu perd souvent en qualité, le fond cède la place à l'apparence, et le métier d'influenceur se vide peu à peu de sa substance pour ne laisser qu'une vitrine éclatante, mais fragile. Encadré : La promotion aveugle Une dérive inquiétante prend de l'ampleur dans le monde de l'influence digitale au Maroc, notamment celle de la promotion aveugle de produits douteux, souvent non vérifiés, par des créateurs de contenu soucieux uniquement de monétiser leur visibilité. En effet, beaucoup d'influenceurs présentent des articles (cosmétiques, compléments alimentaires ou gadgets) en affirmant les avoir testés et validés personnellement, vantant des résultats miraculeux et des ingrédients parfois fictifs ou scientifiquement infondés. Ces pratiques ont engendré de nombreux cas d'arnaques, de réactions allergiques ou d'effets secondaires graves, sans que les influenceurs concernés ne soient inquiétés.