La signature d'un accord stratégique entre la Confédération des Chambres industrielles du Mexique (CONCAMIN) et la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) dépasse le simple cadre bilatéral. En reliant deux économies émergentes situées aux extrémités de l'Atlantique, l'initiative s'inscrit dans une dynamique plus vaste : l'affirmation de nouveaux corridors Sud-Sud capables de remodeler les flux commerciaux et industriels mondiaux. À Mexico, la rencontre entre Alejandro Malagón Barragán et Chakib Alj a officialisé une coopération structurée entre les deux principales organisations patronales des pays. En présence de l'ambassadeur du Maroc M. Abdelfattah Lebbar, le protocole d'entente a été présenté comme un « pont » entre l'Afrique et l'Amérique latine. Les engagements portent sur le partage d'expériences, la promotion de l'innovation et le renforcement des investissements croisés. Mais au-delà, l'accord matérialise une volonté politique : sortir des schémas traditionnels centrés sur l'Europe ou les Etats-Unis, pour bâtir des partenariats directs entre économies émergentes. Si l'accord est présenté comme « historique », les échanges commerciaux entre Rabat et Mexico restent encore limités. En mai 2025, le Mexique a exporté pour environ 14,5 millions USD de biens vers le Maroc, tandis qu'il en importait pour près de 80,6 millions USD, affichant un déficit mensuel de 66,1 millions USD. Sur l'ensemble de l'année 2024, les exportations mexicaines vers le Maroc se sont élevées à environ 30,4 millions USD, contre un volume global estimé à près de 100 millions USD pour les échanges bilatéraux. Ce déséquilibre commercial traduit l'avantage du Maroc, dont les exportations vers le marché mexicain se concentrent autour des phosphates et dérivés, mais aussi des textiles et composants électroniques. À l'inverse, les ventes mexicaines au Maroc, dominées par l'agroalimentaire et la pharmacie, peinent encore à percer sur ce marché en pleine croissance. Lire aussi : Maroc-Mexique: Les opportunités de partenariat mises en avant à Mexico Pour le Maroc, cet accord s'inscrit dans la continuité de sa stratégie de diversification économique. Depuis une décennie, le Royaume mise sur sa position géographique pour se présenter comme une porte d'entrée vers l'Afrique. Tanger Med, Nador West Med et les zones industrielles de Kénitra ou Tanger Automotive City symbolisent cette ambition d'ériger le Maroc en hub logistique et industriel. À travers la CGEM, qui représente plus de 90 000 entreprises, le Maroc dispose d'un levier pour développer des alliances patronales avec d'autres continents. La signature avec la CONCAMIN confirme cette ouverture, en élargissant le champ des partenariats au-delà de l'Europe et du bassin méditerranéen. Le Mexique, une passerelle vers l'Amérique latine Côté mexicain, l'accord reflète également un repositionnement. Fortement intégré au marché nord-américain à travers l'USMCA, le pays cherche à diversifier ses débouchés. En s'alliant au Maroc, il s'ouvre à l'Afrique et à l'Europe, mais aussi au Moyen-Orient grâce aux corridors logistiques marocains. La CONCAMIN, qui regroupe plus de 100 chambres sectorielles et représente 40 % du PIB industriel du pays, voit dans ce rapprochement un moyen d'augmenter ses exportations vers le Maroc, de rééquilibrer une balance commerciale déficitaire et de diversifier ses investissements. La portée géo-économique de l'accord réside dans la mise en réseau de corridors Sud-Sud. Le Maroc développe déjà, avec le Nigeria, un gazoduc géant reliant l'Afrique de l'Ouest à l'Europe, et promeut l'Initiative atlantique lancée en 2023 pour transformer l'Atlantique africain en espace intégré de commerce et d'investissement. En miroir, le Mexique s'impose comme un carrefour latino-américain, avec son corridor interocéanique transisthmique et ses accords de libre-échange avec l'Amérique centrale et du Sud. La convergence des initiatives ouvre la voie à un nouveau pont économique entre l'Amérique latine et l'Afrique. Les deux économies présentent des atouts complémentaires. Le Maroc s'est spécialisé dans l'automobile, l'aéronautique, les énergies renouvelables et les engrais phosphatés, tandis que le Mexique excelle dans l'agroalimentaire, la pharmacie et l'industrie pétrochimique. L'accord patronal peut ainsi stimuler la co-innovation et l'accès mutuel à de nouveaux marchés.