L'émotion a submergé la salle qui abritait le Forum MD Sahara, organisé du 13 au 16 novembre 2025 à Dakhla, avant même que les premiers mots ne soient prononcés. Un silence a envahi l'assemblée alors que M. Mohamed Maradji, photographe légendaire des Trois Rois, regardait, les larmes aux yeux, un montage vidéo offert par son fils, reprenant ses œuvres. Cinquante ans après, l'homme qui a figé l'épopée de la Marche Verte dans l'éternité voyait son travail résonner avec une force intacte, prouvant que certaines images ne sont pas de simples photographies, mais des fragments de l'âme d'une nation. Interrogé sur sa conscience de vivre un moment historique en 1975, sa réponse fut d'une humilité désarmante, celle des grands artisans de l'Histoire : « Nous étions concentrés sur notre position et sur notre objectif. Sur le travail que nous avions à faire ». Dans le tourbillon d'un événement qui allait changer le cours de l'Histoire et galvaniser un peuple, l'œil de M. Mohamed Maradji n'était pas distrait par la postérité. Il était focalisé sur le cadre, la lumière, l'instant décisif. C'est précisément cette concentration, ce dévouement absolu à son art, qui a permis à ses clichés de transcender le reportage pour atteindre la dimension du mythe. Commentant ses propres photographies, projetées devant une audience captivée, M. Maradji n'a pas seulement décrit des images ; il a ravivé des sensations. Il a raconté le gigantisme logistique, ces colonnes infinies de camions, ces hélicoptères brassant le ciel, une machine humaine et matérielle colossale se mettant en branle. Mais au-delà de la logistique, il a surtout capturé le drame humain. Il a opposé le départ des soldats espagnols à l'arrivée des familles marocaines, un chassé-croisé de destins. D'un côté, la fin d'une ère ; de l'autre, l'aube d'une promesse. Lire aussi : Marche Verte : Seddik Maâninou, gardien d'une mémoire où la Parole Royale a fait basculer l'Histoire Ses clichés les plus poignants sont ceux qui révèlent l'intimité de la Marche. Il a parlé de ces « femmes qui s'inquiètent pour leurs enfants », de ces gens qui « sortent de leur maison et se sentent bien », enfin chez eux. Il a immortalisé la foi sur les visages, la fatigue dans les corps et l'espoir indomptable dans les regards. Il a montré la dignité d'un peuple en mouvement, un peuple qui, malgré les difficultés, s'est avancé avec pour seule arme sa conviction. Ces photographies ne sont pas des portraits de foule ; ce sont des milliers de portraits individuels qui, ensemble, racontent une histoire collective. L'artiste derrière le documentariste s'est aussi révélé. M. Maradji a évoqué un « montage » qu'il a réalisé, une composition où il a superposé différentes réalités pour affirmer une vérité plus profonde : celle de la marocanité. Il ne s'agissait pas seulement de montrer, mais de démontrer, de créer un récit visuel qui affirmait l'identité unique et authentique de cette marche. Son travail était une réponse, un acte de souveraineté artistique face aux récits étrangers. Il a également rappelé le contexte technique de l'époque. « En 1975, il n'y avait qu'une seule photo », a-t-il expliqué, soulignant la préciosité de chaque déclenchement, le poids de chaque choix. Chaque cliché était une décision irréversible, une responsabilité immense. Cette contrainte a sans doute ajouté à la densité et à la puissance de son œuvre. Un des moments les plus forts de son intervention fut le souvenir d'une interaction avec Feu Sa Majesté le Roi Hassan II. Le Souverain, après avoir vu une image, lui a ordonné de la refaire, insistant sur la présence de certains « caractères », d'une « valeur » qu'il fallait absolument capturer. Cette anecdote illustre l'exigence et la vision de Feu Sa Majesté le Roi, mais aussi la relation de confiance et de collaboration intense qui unissait le Monarque et son photographe. L'œil du Roi guidait l'œil de l'artiste. En regardant M. Mohamed Maradji sur scène, submergé par l'héritage de sa propre vie, l'audience a compris que son véritable chef-d'œuvre n'est pas une photo en particulier, mais l'ensemble de son œuvre sur la Marche Verte. Un corpus visuel qui est devenu notre mémoire collective. À travers son objectif, il n'a pas seulement photographié un événement, il a capturé l'émotion d'un peuple, la foi d'une nation et la vision d'un Roi. Et cinquante ans plus tard, cette émotion reste aussi vive, aussi pure, aussi essentielle.