Il y a des dates qui, par un étrange caprice de l'Histoire, deviennent des points de bascule. Le 31 octobre en est une. Jour de commémoration de l'unité nationale, il est aussi devenu, en 2021, le jour d'une rupture brutale. Lors d'une intervention d'une profondeur et d'une sincérité rares au Forum MD Sahara, organisé du 13 au 16 novembre 2025 à Dakhla, Mme Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, a raconté comment ce jour de péril est devenu, par la force de la vision et de la résilience, le point de départ d'une révolution énergétique souveraine. Le 31 octobre 2021, le Maroc subissait l'arrêt brutal du gazoduc Maghreb-Europe, perdant subitement plus de 10% de sa capacité électrique. Sur l'estrade de la COP de Glasgow, Mme Benali devait, au même moment, défendre la sortie du charbon. C'est dans cette pression extrême, qu'une « forte conviction a été gravée dans le marbre ». Cette crise était une « opportunité historique ». L'opportunité de renforcer la sécurité énergétique du pays en accélérant massivement le développement des énergies renouvelables – « nos énergies, les plus compétitives, les plus souveraines, les plus propres » – et de moderniser le secteur pour baisser structurellement le coût de l'énergie. « Il ne faut jamais gâcher une bonne crise », a lancé la ministre. De ce chaos est née une stratégie. Le regard s'est immédiatement tourné vers le Sud, vers ce Sahara Atlantique, « terre de rencontres, carrefour d'échanges, terre aux ressources solaires et éoliennes exceptionnelles ». L'idée était audacieuse : faire de cette région un nouveau détroit, un hub de connectivité et un producteur d'énergie capable de rivaliser avec les plus grands. Pour y parvenir, une décision stratégique fut prise : dissocier l'approvisionnement en énergie de l'infrastructure, pour minimiser les « interférences des intérêts divergents ». Lire aussi : Mohamed Maradji : L'Œil qui a gravé la Marche Verte dans l'éternité Le récit de Mme Benali est alors devenu une véritable épopée diplomatique et technique. Pour sécuriser l'approvisionnement en gaz, il a fallu négocier l'inversion du flux du gazoduc Maghreb-Europe, une première. Il a fallu entrer, pour la première fois, sur le marché mondial du gaz naturel liquéfié (GNL), à quelques jours seulement du début d'un conflit majeur. Il a fallu bâtir une « excellente collaboration » avec les autorités espagnoles, et la ministre a tenu à rendre un hommage appuyé à son homologue de l'époque, Mme Teresa Ribera, « pour avoir tenu parole contre vents et marées ». Mais la bataille n'était pas gagnée. Sur le front de l'approvisionnement, le Maroc a fait face à de nombreux blocages. Certains opérateurs se sont dédits. D'autres ont hésité, « par peur de représailles ». D'autres encore ont refusé net que le premier cargo de GNL pour le Maroc vienne de chez eux. C'est finalement un « jeune trader d'origine marocaine, basé à Londres », qui a eu le courage de finaliser ce premier contrat vital en juin 2022, se mettant « à dos tout son management ». Un acte patriotique discret mais décisif. Aujourd'hui, trois ans plus tard, le Maroc est à la veille de la naissance de son infrastructure gazière souveraine : le terminal d'importation de Nador West Med et les gazoducs qui le relieront aux centres de consommation. Cette infrastructure sera elle-même connectée à la première phase du projet visionnaire voulu par Sa Majesté le Roi Mohammed VI : le gazoduc Afrique Atlantique (anciennement Nigéria-Maroc). Ce n'est pas un simple « tuyau », a insisté la ministre. C'est la « concrétisation de l'intégration économique et sociale de l'Afrique de l'Ouest », et le désenclavement de tout un continent. Cette souveraineté retrouvée permet au Maroc de nourrir des ambitions encore plus grandes. Le pays s'apprête à construire, en moins de cinq ans, 1,5 gigawatts supplémentaires d'énergies renouvelables, plus que tout ce qui a été fait en une décennie. Les provinces du Sud, avec leur potentiel exceptionnel, sont au cœur de cette accélération. La ministre a également souligné l'engagement climatique du Maroc, qui ne se contente pas de fixer des objectifs ambitieux de réduction d'émissions, mais propose au monde des « innovations méthodologiques » pour lier directement les financements climatiques internationaux à des projets concrets dans les territoires. L'intervention de Mme Leila Benali a offert bien plus qu'un exposé technique. Ce fut le récit poignant d'une nation qui, au bord du précipice, a trouvé en elle-même et dans la vision de son Souverain la force de transformer une vulnérabilité en une puissance. Une leçon de résilience, de courage et de souveraineté, où le Sahara Atlantique n'est plus une simple façade maritime, mais le cœur battant d'un Maroc maître de son destin énergétique et d'une Afrique qui se connecte au monde.