Le 16 décembre 2025, la Journée de la rénovation urbaine à Rabat a servi de plateforme à un dialogue international de haut niveau, mettant en lumière la complexité et la diversité des approches en matière de transformation urbaine. Bien au-delà d'une simple présentation de la stratégie marocaine, l'événement a permis de confronter les visions et les expériences de la France, du Brésil et d'autres pays, offrant une véritable mosaïque de perspectives sur un défi désormais universel. Dans son discours inaugural, Mme Azhar Ktitou, directrice générale de l'ANRUR, a posé les jalons de l'ambition marocaine en la matière. Elle a souligné que les projets de rénovation urbaine sont le fruit d'une « vision collective et d'une volonté affirmée de moderniser nos territoires, tout en préservant leur âme, leur cohérence sociale et leur identité marocaine ». Loin d'éluder les difficultés, telles que les pressions démographiques ou les contraintes financières, elle les a présentées comme de « puissants leviers pour transformer nos villes en espaces de solidarité, de développement et d'innovation ». Son allocution a ainsi consacré la rénovation urbaine comme un « véritable moteur d'équité territoriale », s'inscrivant dans une démarche holistique visant à servir la dignité humaine et à renforcer la cohésion nationale. M. Khalid El Hadri, directeur de la stratégie à l'ANRUR, a approfondi la dimension opérationnelle et philosophique de l'action de l'agence. Il a rappelé que la rénovation urbaine ne se limite pas au traitement du bâti, mais qu'elle vise avant tout la « cohésion sociale » ainsi que « l'équité territoriale et spatiale ». Pour lui, l'innovation constitue un pilier fondamental, non seulement sur le plan technologique, mais également dans « l'approche sociale ». Il a insisté sur la nécessité de conduire des études sociales approfondies afin que les solutions proposées soient réellement « appropriées par les habitants ». M. El Hadri a par ailleurs défini les critères d'un projet réussi : l'inclusion sociale, mesurée par l'accès aux services et l'amélioration du confort urbain ; la durabilité environnementale, à travers le respect des standards en matière d'efficacité énergétique et de matériaux ; et, enfin, une gouvernance participative intégrant les citoyens à toutes les étapes du processus. Lire aussi : UNESCO : Casablanca et Oujda rejoignent le Réseau mondial des villes apprenantes De la technocratie à la co-construction : impliquer les habitants pour réussir Mme Sidonie Bey-Rozet, experte chez KPMG Secteur Public et spécialiste des politiques de rénovation urbaine menées par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en France, a partagé les enseignements tirés de plus de vingt années d'expérience. Elle a décrit le modèle français comme une organisation duale, combinant une « approche relativement centralisée », qui fixe un cadre stratégique national, et une « approche fortement territorialisée », permettant d'adapter les projets aux réalités locales. Elle a surtout mis l'accent sur l'évolution décisive d'une approche « technocratique » vers un modèle de co-construction. Illustrant son propos par l'anecdote des « pas japonais » – ces allées pré-dessinées que les habitants contournaient -, elle a montré comment le second programme de rénovation urbaine a placé l'association des habitants au cœur du dispositif, notamment à travers la création de « conseils citoyens ». Pour elle, la rénovation ne peut réussir et s'inscrire dans la durée que si elle est menée « avec et par les habitants ». » M. Pierre-Jean Boley, expert en urbanisme opérationnel en France, a apporté un éclairage pragmatique sur les défis concrets de la mise en œuvre des projets. Il a souligné l'importance déterminante de la maîtrise foncière, qu'il a qualifiée de « sujet clé ». Selon lui, la capacité à assurer une veille foncière efficace et à mobiliser des outils juridiques solides, tels que la Déclaration d'utilité publique (DUP), qui fait primer l'intérêt général sur l'intérêt particulier, est essentielle. M. Boley a également défendu une approche réaliste du phasage des projets : plutôt que de chercher à tout transformer simultanément, il préconise d'identifier des « îlots » ou des « poches » plus matures pour y engager des premières interventions, en acceptant que d'autres secteurs nécessitent davantage de temps avant d'être traités. Mme Marcela Marques Abla, présidente de l'Institut des architectes du Brésil à Rio de Janeiro, a offert une perspective sud-américaine, articulée autour d'un principe fondamental : « Les villes existantes ne doivent pas être oubliées. » Elle a plaidé en faveur de la régénération urbaine avant l'expansion, afin de « construire une nouvelle ville à l'intérieur de celles qui existent déjà ». S'appuyant sur l'expérience de l'urbanisation des favelas, elle a affirmé que ces quartiers ne constituent pas le problème, mais « une partie de la solution ». Le succès de ces programmes repose, selon elle, sur la reconnaissance des efforts des habitants, ainsi que sur des investissements massifs dans les infrastructures et les espaces publics. Pour Mme Abla, la participation citoyenne « n'est pas optionnelle : elle est essentielle à l'appropriation, à l'entretien et à la durabilité » des projets. Les défis structurels du continent africain Enfin, une intervention a mis en exergue deux défis structurels majeurs, communs à de nombreuses métropoles africaines. Le premier concerne l'énergie : sans indépendance énergétique ni infrastructures fiables, les ambitions de « Smart City » et de digitalisation des services demeurent difficiles à concrétiser. Le second défi est d'ordre politique ; il réside dans le décalage entre le temps long des projets urbains, souvent étalés sur une décennie, et le temps court des mandats électoraux, limités à cinq ans. Cette discordance incite fréquemment les décideurs à privilégier des actions à visibilité immédiate, au détriment de transformations structurelles pourtant indispensables au développement durable des villes. Ce tour d'horizon international a ainsi nourri et enrichi la réflexion marocaine, confirmant que si l'ambition d'équité territoriale est universelle, les chemins pour y parvenir sont multiples et doivent impérativement s'ancrer dans les réalités locales, techniques et humaines.