À la suite du drame de Safi, l'urbaniste et écrivain Rachid Boufouss livre une lecture analytique des enjeux de planification urbaine et territoriale au Maroc. De la gestion des eaux pluviales à la protection des médinas, en passant par l'aménagement des territoires ruraux et de montagne, il plaide pour une meilleure anticipation des risques et une gouvernance plus intégrée, fondée sur la coordination, la rigueur et la responsabilité publique. Maroc Diplomatique : Le drame de Safi relance la question de l'intégration du risque climatique dans la planification urbaine. Selon vous, les documents d'urbanisme actuels tiennent-ils suffisamment compte des nouveaux régimes de précipitations et des risques d'inondation ? Rachid Boufouss : En théorie oui, mais en pratique beaucoup de plans d'aménagement ne sont pas assez précis quant aux dispositions urbanistiques à prévoir pour ces dérèglements climatiques. Il y a lieu de revoir la façon avec laquelle ils sont élaborés, faire participer des experts en climat dans leur élaboration, et surtout mettre en place une réglementation audacieuse qui permet de répondre de façon efficace à ces risques. L'absence ou la défaillance des systèmes de drainage est souvent pointée du doigt après ce type de catastrophe. S'agit-il d'un problème de conception, de normes obsolètes ou de mise en œuvre et d'entretien ? Quelles références techniques auraient dû s'imposer ? Il s'agit davantage d'une question de défaut d'entretien des réseaux d'assainissement existants, de manque de nettoyage des canalisations d'évacuation des eaux pluviales et surtout de bouchage des émissaires en aval, ce qui a conduit durant une courte période la remontée des eaux à la surface. Maintenant il faut revoir tout le réseau d'évacuation des eaux pluviales, étudier son efficacité face à de telles intempéries, quitte à reconstruire tout le réseau urbain. Cela demandera du temps et de l'argent, mais cela sauvera des dizaines de vies... La médina de Fès, comme celle de Safi, concentre à la fois une forte valeur patrimoniale et une grande vulnérabilité. Comment concilier la préservation du bâti historique avec l'adaptation aux risques climatiques, sans dénaturer l'identité urbaine ? Dans son histoire, Fès a connu des inondations et des effondrements de maisons et de logements car elle est construite sur le fleuve Oued Fès (Oued Al Jawahir ou Oued Boukhrareb) mais les solidarités ancestrales ont permis la reconstruction selon le système solidaire de la Twiza. Aujourd'hui ce système n'existe plus, ce qui conduit à des effondrements plus visibles. La pierre n'est pas sacrée pour autant. On peut reconstruire ce qui s'effondre, même à l'identique et sans dénaturer le patrimoine. Le fait de mettre des étais et des confortements à n'en plus finir n'est pas la bonne solution à mon avis. Mais ça c'est un autre sujet... Lire aussi : Les précipitations enregistrées au centre de la ville de Safi ont dépassé 60 mm en trois heures Le séisme d'Al Haouz a mis en lumière la fragilité des territoires ruraux et de montagne. Les politiques d'aménagement prennent-elles suffisamment en compte ces espaces, souvent en marge des grandes stratégies urbaines ? Non, elles ne les prennent pas en compte pour la bonne raison que ces politiques n'existent pas. Nous préférons garder les gens dans les montagnes dans des conditions extrêmes au lieu de les déplacer vers les plaines pour plus de sécurité et de confort en termes d'équipements de proximité comme des écoles, des lycées et des hôpitaux. C'est un choix discutable que je ne partage pas. Ce sont des marocains comme ceux des villes, et à ce titre ils ont aussi le droit de bénéficier du confort urbain. Ces crises successives révèlent-elles, selon vous, un déficit de coordination entre les différents niveaux de gouvernance – communal, régional et national – en matière de prévention et de gestion des risques ? Oui, cette coordination n'existe pas. Il faut la mettre en place en créant une agence nationale de gestion des risques climatiques et géologiques. C'est un impératif à mettre en place pour qu'au moins nous puissions intervenir et surtout prévenir les catastrophes qui ne cesseront pas de survenir quoi que l'on fasse. Autant se tenir prêts à intervenir en temps opportun pour éviter le maximum de dégâts humains et matériels. Peut-on parler aujourd'hui d'une véritable stratégie nationale de résilience urbaine et territoriale, ou sommes-nous encore dans une logique de réaction après catastrophe ? Nous réagissons toujours après coup et nous en payons lourdement les conséquences. C'est anormal que cela continue malgré les épisodes passés dont nous n'avons visiblement pas tiré les leçons. Si vous deviez formuler trois priorités absolues pour reconstruire et transformer des villes comme Safi, tout en protégeant des sites comme Fès et des territoires comme Al Haouz, quelles seraient-elles ? 1- La rigueur 2- La reddition des comptes 3- Le volontarisme politique et financier