LA DROITE AUX ABONNES ABSENTS Abdallah Kadiri Défections massives au MDS, vent de contestation au PND, statu quo menaçant à l'UC, semblant de cohérence au MP, la droite marocaine n'en finit pas de se déchirer. Tout se passe comme si les partis de l'ex-majorité ont du mal à exister depuis leur éloignement du pouvoir et à jouer leur rôle d'opposition. Une chose est sûre : à la faveur du Maroc nouveau qui s'annonce, il faut s'attendre à une recomposition imminente du champ politique national. La droite est-elle en train d'imploser ? Tout porte à croire qu'elle vit actuellement une crise sans précédent sur fond de déchirements intenses qui remontent à la surface. Cette crise, qui était jusqu'ici larvée, s'amplifie de jour en jour sans que les directoires de ce bloc montrent une capacité quelconque à contrecarrer cette poussée de fièvre. C'est la débandade ou presque. Et les chefs semblent dépassés par les événements. S'agit-il d'une lame de fond ou d'un effet conjoncturel? En tout cas, c'est le sauve -qui- peut. La rébellion contre la direction. Une rébellion dont les soubassements ne sont pas claires. Une chose est sûre : le vent a changé de direction. À la faveur de la succession monarchique et des signaux forts adressés à la nation, la droite a perdu ses repères, ne sachant plus sur quel pied danser. Séisme La boussole qui leur montrait le chemin à suivre est tombée en panne. Quand un bateau amiral prend de l'eau de toutes parts, chacun essaie de sauver sa peau. C'est à l'aune de ce changement qu'il faut comprendre le séisme qui secoue les partis de l'ex-majorité. Qu'est ce qui a poussé par exemple le député de Sidi Kacem à faire défection et quitter le MDS de Mahmoud Archane avec un groupe d'une dizaine de députés et de cinq conseillers ? Rien a priori ne justifie l'acte de Mohamed Benzeroual, un féodal certes richissime mais dépourvu de culture politique et de culture tout court.. Dans son attitude, il y a tout : l'opportunisme, la peur de l'avenir, le désir de se repositionner. Or, pour que des députés et conseillers suivent le député de Sidi Kacem, ce dernier a dû certainement faire valoir la seule force de persuasion qu'il possède. Elle est sonnante et trébuchante. Dans un communiqué, le Bureau politique du MDS "condamne cette activité fractionnelle dictée par des ambitions personnelles et des considérations personnelles''. Homme franc qui a le courage de ses idées, Mahmoud Archane se sent trahi par les siens. Mais il compte continuer son combat en tant que leader du MDS. Enchères Ainsi va la vie politique marocaine. Le plus offrant organise enchères. Les députés changent de parti comme on change de chemise. Sans aucune considération pour leurs électeurs. Aucun parti de l'ex-majorité n'a les moyens de prévenir le phénomène de transhumance pour cause d'absence de projet politique clair capable de fédérer ses membres. Ce qui n'améliore guère l'image de la politique et des politiciens chez les citoyens. Si les jeunes boudent les partis, c'est parce que ces derniers ne sont pas attractifs et mobilisateurs en l'état actuel des choses. Quel est ce jeune du Maroc d'aujourd'hui prêt par exemple à prendre la carte du PND? Un parti déchiré dont le secrétaire général Abdallah Kadiri a du mal à maîtriser ses troupes. Ce parti a été lui aussi rattrapé par ses vieux démons. Après une longue crise latente, voilà qu'un groupe de dissidents se manifeste par un communiqué de trois feuillets daté du 31 octobre 1999. Cette fronde est menée par un groupe de huit personnes dont Abderrahmane Jalal, Ahmed Alami et Lahcen Gaboune. La présence de ces deux derniers est surprenante puisqu'ils ont été expulsés, il y a quelque temps, des rangs du parti à l'unanimité du bureau politique. Ce groupe, qui a mis en place une commission, reproche à M. Kadiri son manque de dialogue et de concertation et son attitude irresponsable. Jalal, Alami et les autres ont décidé de retirer leur confiance au secrétaire général et appellent à la tenue d'un congrès extraordinaire tout en sommant M. Kadiri, en sa qualité de trésorier du parti, à présenter un rapport détaillé des finances et des biens du PND, sous réserve de traduire leur leader devant les tribunaux. Fidèle parmi les fidèles, homme jusqu'ici discret, Abderrahmane Jalal conteste aujourd'hui non seulement le patron du PND mais mène la fronde avec deux exclus du parti, mesure qu'il avait avalisée en tant que membre du Bureau politique. On nage en plein dans le surréalisme et les contradictions. À supposer même que M. Jalal n'était pas d'accord avec la mise à l'écart de ses anciens collègues, pourquoi n'avait-il pas manifesté son désaccord à l'époque par un communiqué? Toutes les alliances sont bonnes du moment qu'il s'agit de mener un putsch contre le secrétaire général. Celui-ci n'est pas serein comme il veut bien le montrer. Cette histoire risque de mal finir et de tourner comme par le passé aux gourdins. Désaccord La vie politique à la marocaine est fondée sur une donnée permanente : les désaccords dans les partis débouchent généralement sur des scissions ou des réactions à la Benzeroual. D'où la multiplicité des partis. La logique aurait voulu que les contestataires restent dans leurs formations et mènent la lutte de l'intérieur. C'est la preuve de la faillite du projet de doter le Maroc d'une droite solide et cohérente capable d'exprimer les différentes sensibilités de la société. La vague déstabilisatrice qui touche le MDS et le PND épargne l'UC qui, elle, a réussi du moins pour l'instant de garder un semblant d'unité. Après le décès de Maâti Bouabid, tout le monde pariait sur la débandade du parti. Mais la formule de la présidence tournante a sauvé un peu la situation. Aujourd'hui, avec l'état de santé de Abdellatif Semlali, l'UC est en train de vivre une période difficile marquée par l'incertitude et la volonté de quelques-uns de se repositionner. Le MP de Mohand Laenser vit de son côté une crise moins aiguë. Cependant, l'affaire du député de Nador, Tarek Yahia, a ébranlé le semblant de discipline jusqu'ici montré par le mouvement en le déchirant entre partisans de l'expulsion de M. Yahia et adversaires de cette mesure qui apparaît comme étant une initiative personnelle de M Laenser. Il est clair que le Maroc nouveau qui s'annonce ne réussit guère aux partis de l'ex-majorité. Ces derniers ont du mal à exister et à se défaire de leurs vieux réflexes depuis l'avènement de l'alternance. Normalement, l'opposition est une occasion pour qu'ils se refassent une nouvelle santé et revoient leur mode de fonctionnement. L'échec est patent. Le Maroc actuel a besoin d'une droite complètement rénovée avec des cadres en phase avec l'évolution du pays. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Et si les tourments de l'ex-majorité participent d'un début de recomposition réelle du paysage politique national ? Une recomposition qui n'a que trop tardé, annonciatrice d'une nouvelle redistribution des cartes et des rôles dans le sens d'une clarification du jeu partisan.