Alors que l'ONU fêtait paisiblement le 70ème anniversaire de sa création, une passe d'armes inédite a opposé les délégations du Maroc et d'Algérie. L'adjoint du représentant d'Alger a saisi l'occasion de cette célébration pour revenir sur la question du Sahara et le droit à l'autodétermination de son peuple. Le Maroc a eu une réaction aussi inhabituelle et agressive que pertinente et intelligente… … et, pour rester dans l'ordre protocolaire, c'est le n°2 de la délégation marocaine qui est monté à la manœuvre. Il s'appelle Abderrazzak Laâssel et il a appelé à l'autodétermination du peuple kabyle. Passe d'armes onusienne Il était particulièrement malvenu, à en croire nombre de délégués présents à New York qui ont critiqué l'attitude d'Alger, de parler de son pays alors que l'ONU se fêtait et célébrait sa naissance. Mais Rabat devait répondre à la provocation. Et c'est ce que n'a pas manqué de faire Laâssel, lequel a indiqué qu' « il est regrettable d'entendre certains s'élever à l'occasion de cette célébration pour demander l'application de tel ou tel droit, alors qu'ils privent leurs propres populations de ces mêmes droits ». Et, puisqu'on y était, autant poursuivre… « Au moment où nous fêtons le 70ème anniversaire des Nations Unies, un des plus anciens peuples de l'Afrique continue d'être privé de son droit à l'autodétermination, et il est regrettable que les aspirations légitimes du peuple autochtone de la Kabylie soient toujours bafouées au 21ème siècle. Ses droits humains sont violés au quotidien, ses représentants légitimes sont persécutés et ses leaders sont pourchassés, y compris quand ils sont en exil (…). Ce peuple de 8 millions de personnes, vieux de 9.000 ans, doit lui aussi jouir de son droit à l'autonomie et la reconnaissance de son identité culturelle et linguistique et ce, conformément à l'article 1 de la Charte des Nations Unies, l'article 2 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, l'article premier des deux Pactes internationaux relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels et aux droits civils et politiques et les articles 1 à 4 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones », a martelé le diplomate marocain. Silence à Alger, discrétion au Maroc Suite à cet incident, les médias algériens, officiels, officieux et (semi) privés, n'ont fait aucune remarque, évitant de soulever une question très sensible en Algérie, surtout quelques mois après des émeutes à Ghardaïa. Durant ces événements survenus en juillet, 23 personnes sont décédées, une vingtaine blessées et 38 personnes ont été arrêtées. En Algérie, on impute à cette recrudescence de la violence en Kabylie la série de limogeages intervenus à la tête de l'armée et des services. Lors de ces émeutes de juillet, une télévision algérienne avait clairement accusé le Maroc de soutenir le mouvement indépendantiste kabyle, citant nommément Mhamed Fekhar d'être reçu régulièrement à Rabat, où « le palais est conseillé par Ahmed Aassid », cet intellectuel amazigh marocain qui ne fait pas dans la politique politicienne. Le même Fekhar vient d'écoper d'un an de prison pour « atteinte à la sûreté de l'Etat ». Il est aussi étrange que, côté Maroc, les médias se soient contentés de relater l'incident qui s'est produit à New York, sans plus d'explication, et sachant que ce sont les diplomates algériens qui ont les premiers ouvert les hostilités. Quant à la diplomatie marocaine, nous avons essayé de recueillir les déclarations de responsables au ministère des Affaires étrangères, qui n'ont pas donné suite. Las… Seuls des médias kabyles ont fait état de cette joute onusienne entre les deux diplomaties ; ainsi du journal Tamurt qui a indiqué qu' « une nouvelle page se tourne pour le pays Kabyle et un vent d'espoir souffle sur les montagnes de la Kabylie. L'Algérie qui soutient et qui finance le Polisario pour arracher son indépendance doit faire de même pour la Kabylie. Connaissant le poids du Maroc et ses alliés aux Nations-Unies, d'autres pays emboîteront le pas certainement au Maroc et la Kabylie, le GPK, bénéficiera d'un soutien et d'une chance inouïe de la part des puissances de cette planète. Notons que nos journalistes de Tamurt ont toujours incité le Maroc à exercer son droit de réciprocité envers le pouvoir algérien, qui finance le Polisario et faire de même pour le Peuple kabyle ». La Kabylie La Kabylie est une province située au nord de l'Algérie, à l'est d'Alger. De culture et d'origine ethnolinguistique amazigh (berbère) ; ses habitants sont traditionnellement rétifs au pouvoir d'Alger, qui leur oppose et leur impose une politique d'arabisation musclée, sans tenir compte de la spécificité culturelle de la province. Des émeutes éclatent régulièrement et sont durement réprimées par le pouvoir central. Le réveil culturel s'intensifie en Kabylie dans les années 1990, conséquence du durcissement de l'arabisation que connaît l'Algérie en cette période. En 1994-1995, l'année scolaire fait l'objet d'un boycott appelé « grève du cartable ». En juin et juillet 1998, la région s'embrase à nouveau après l'assassinat du chanteur Lounès Matoub et à l'occasion de l'entrée en vigueur d'une loi généralisant l'usage de la langue arabe dans tous les domaines. Et, régulièrement, le chanteur Idir réclame l'indépendance de la province kabyle… Les Kabyles se tournent alors vers le Maroc qui, bien que régulièrement bousculé par Alger dans les forums diplomatiques internationaux, reste « discret dans son soutien, ne voulant pas gêner le gouvernement algérien, et ne désespérant pas d'une solution politique au problème que connaissent les deux pays. C'est une erreur », confie à PanoraPost un ancien ministre des affaires étrangères. Un atout pour le Maroc ? Si les Sahraouis, vivant en majorité au Maroc, sont une population n'excédant pas les 200.000 âmes, les Kabyles, eux, sont plusieurs millions. Ils entretiennent avec le pouvoir d'Alger une relation d'animosité brutale, ce qui n'est pas le cas des Sahraouis au Maroc. Les Algériens disent le contraire pour les populations à Tindouf, mais tant qu'on ne peut pas leur parler librement et qu'eux ne peuvent pas parler tout court, le doute reste permis… Le silence observé par les Algériens depuis hier sur la joute qui a opposé les diplomaties marocaine et algérienne devrait inciter les Marocains à être plus agressifs sur cette question… sans pour autant en faire une matière à marchandage ou négociation. En effet, le problème du Maroc et des Kabyles est le pouvoir algérien dans sa configuration actuelle, vindicative et nerveuse, aussi vaine qu'incertaine. Cela se voit en Kabylie, cela est relevé dans la question du Sahara, et même avec la France, l'Algérie se montre très agressive et peu désireuse d'oublier un passé révolu, quoiqu'il ait pu être violent. Aussi, si la nature du pouvoir algérien change et évolue, ce n'est pas seulement Rabat qui en serait soulagé, mais aussi les Kabyles dont la spécificité culturelle pourrait enfin être reconnue et qui ne revendiqueraient peut-être plus avec autant de véhémence leur indépendance. Dans l'intervalle, notre diplomatie gagnerait à être moins courtoise et serait bien inspirée à être plus pugnace, plus combative. Elle serait mieux avisée de devancer les événements au lieu de leur courir après, plus tard, parfois trop tard.