Parmi les 2 000 unités représentant les courants architecturaux de Casablanca, une grande partie a besoin de réfection. Pas facile en l'absence de subvention étatique et de mesures incitatives. Cela fait des années que les échafaudages étreignant les ruines de l'hôtel Lincoln amochent le boulevard Mohammed V à Casablanca. Après le début récent des travaux de rénovation, la situation pourrait changer. Mais pas tout de suite. Dans le cœur historique de la capitale économique, qui correspond sur le terrain à l'arrondissement de Sidi Belyout, l'Agence urbaine de Casablanca (AUC) a identifié, en 2018, environ 2 000 unités bâties et une trentaine d'espaces urbains, appartenant à différents courants architecturaux, dont l'Art Déco et le néo-mauresque sont les plus connus. Une grande partie de ces unités est protégée par ce statut, ce qui complique toute entreprise de rénovation ou de démolition qui s'avère nécessaire, vu leur état actuel. Autrement dit, même s'ils atteignent un état de délabrement avancé, les démolir pour les reconstruire ou les rénover n'est pas chose aisée. En fait, aucune mesure incitative de la part des autorités de la ville, ni de subvention étatique d'ailleurs, ne le permet pour l'instant. Résultat, un nombre considérable de bâtiments s'enlise dans la vétusté. Mais il y a du changement dans l'air. Un nouveau Plan d'aménagement (PA) de l'arrondissement de Sidi Belyout, non encore publié au bulletin officiel, mais déjà affiché aux tiers pour consultation, a intégré cette problématique, ce qui signifie, selon l'architecte et membre de l'association Casamémoire Karim Rouissi, «un changement d'approche». En d'autres termes, la démolition ne sera plus la seule solution en sus de la protection que confère à ces bâtiments le nouveau PA. L'autre bonne nouvelle est que l'étude commanditée en amont par l'Agence urbaine de Casablanca englobe une première liste de bâtiments dits «inscrits» qui ne dépassait pas la centaine. «Les bâtiments inventoriés ont été intégrés dans le nouveau plan d'aménagement, ce qui a fait multiplier le nombre d'immeubles concernés par la rénovation», nous confirme Karim Rouissi. Ce statut, auquel les bâtiments du centre-ville casablancais accédaient soit à la demande des autorités, soit à la demande de la société civile ou même le propriétaire, ne reflétait pas la réalité ni le nombre exact des immeubles nécessitant la réfection. Une deuxième catégorie de bâtiments, auxquels manque le prestige de représenter le patrimoine architectural de la ville, est soumise à d'autres mesures juridiques notamment la loi n° 12-90 relative à l'urbanisme. Mais, comme la première catégorie, il ne s'agit pas uniquement d'un problème de loi. Le coût de la rénovation demeure très élevé aussi. «La rénovation n'est pas un secteur générateur d'argent. Il s'agit d'un marché de niche, investi seulement par les fondations et les groupes banquiers, qui disposent de fonds», précise Mohamed Charif Houachmi, directeur associé chez BR Group. Une affaire de prestige En plus de la forte création de valeur que cela pourrait créer, la réfection des vieux bâtiments diminuerait l'extension horizontale de ville. «Considéré comme une grande tare urbanistique, l'agrandissement horizontal de Casablanca a une incidence foncière négative et un cout élevé pour le service public», poursuit Mohamed Charif Houachmi, qui préconise l'intégration urbaine pour se réapproprier les anciens monuments comme le Marché central. Actuellement, la réserve foncière à l'extérieur de la ville de Casablanca avoisine 100 hectares, ce qui reste énorme. Construite autour du cercle du port, la ville s'est tellement développée jusqu'à dépasser la rocade et la ceinture verte, qui étaient censées l'encercler. Cela a un effet direct sur les anciens plans d'aménagement de la ville, devenus obsolètes, malgré les dérogations qui ont permis de les prolonger. Au centre-ville, les anciens bâtiments, très bien entretenus, appartiennent aux institutions, essentiellement les banques et les compagnies d'assurance, disposant de fonds. Une deuxième catégorie de biens revient aux Habous qui les louent à des tarifs très bas. Pour ces unités bâties, la pratique du pas-de-porte est courante lors des cessions, ce qui implique un désintérêt vis-à-vis de la réfection ou de l'entretien des bâtiments. S'ajoute à cette dernière catégorie, les bâtiments vides voués à la démolition. Le cas de ceux-là est moins compliqué, surtout que les promoteurs immobiliers préfèrent démolir que rénover. Du côté des autorités, la municipalité peut obliger les propriétaires à entreprendre des ravalements de façade, mais cela reste une décision impopulaire. Pour mémoire, sur décision de la municipalité, les bâtiments du boulevard Mohammed V ont été repeints au lancement des premières lignes du tramway. Mais, en général, la rénovation n'intéresse personne. Selon Karim Rouissi, «ce créneau n'attire pas les promoteurs qui n'ont aucun attachement à la fine pierre. De plus, ils ne sont encouragés par aucune subvention ni mesure incitative», précise-t-il. Ce sont plutôt les bâtiments contemporains qui sont prisés. Malgré leur platitude, on constate que les façades verrées ont désormais une empreinte plus forte que les balcons Art Déco.