Une jurisprudence permet désormais aux mères célibataires marocaines de soumettre une demande d'asile aux Pays-Bas, vu le risque de poursuites pénales au pays d'origine. Cette décision du Conseil d'Etat néerlandais tient compte principalement de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans cet arrêt, la justice valide le recours d'une demandeuse, après un premier refus en 2023. Rendu par le Conseil d'Etat à La Haye, le 20 mai 2025 et publié le 26 courant, un arrêt fait jurisprudence en permettant aux mères célibataires marocaines de soumettre une demande d'asile aux Pays-Bas, si leur requête établit le risque réel de poursuites pénales. La décision a été rendue en faveur d'une ressortissante, qui a interjeté appel après une mesure d'expulsion la visant avec ses trois enfants, ainsi qu'un refus administratif en 2023. Dans le temps, ce premier verdict a donné raison au ministère de l'Asile et de la migration, au motif que le Maroc est désigné comme pays d'origine sûr. Cette disposition ne s'applique cependant pas aux personnes visées par des actions en justice, pouvant «démontrer concrètement que les garanties légales existantes au Maroc contre les violations des droits et libertés ne sont pas assurées dans le cas individuel». Pour sa part, le ministère a argué en appel que «cela signifie qu'il doit y avoir des indications concrètes et individuelles que des poursuites pénales seront effectivement engagées». Dans les attendus du jugement, le Conseil d'Etat reconnaît quant à lui la recevabilité du grief de la requérante, puisqu'il «a démontré qu'elle s'exposerait à des poursuites pénales si elle retournait au Maroc et que les garanties légales contre les violations des droits et libertés ne sont pas assurées dans son cas individuel». Un risque de poursuite et des conséquences multiples Le recours de la requérante se fonde sur les articles 490 et 491 du Code pénal relatif aux relations hors-mariage et à l'adultère, ainsi que les dispositions du Code de la famille sur l'annulation de la tutelle légale et de la garde des enfants. La requête cite également le rapport de 2022 de l'association MRA/Mobilizing for Rights, «Protection, not prison : comment la criminalisation des relations sexuelles hors mariage favorise la violence». Selon ce document, le nombre annuel de poursuites dans ces cas similaire sur la période étudiée a dépassé les 10 000 au Maroc. Maroc : Plus de lutte contre les relations hors-mariage que les violences faites aux femmes Dans ce rapport, l'association a proposé comparatif chiffré, pour appeler à mobiliser les efforts du Parquet afin de mieux protéger les femmes victimes de violences pour donner la primauté au principe de prévention, plutôt que d'emprisonner d'autres pour relations hors-mariage consentie. Elle souligne qu'en 2020, 46 personnes ont été poursuivies pour meurtre avec préméditation sur des femmes (féminicide). 756 l'ont été pour viol, 2 034 pour violences faites aux femmes résultant à une incapacité supérieure à 20 jours et 505 pour harcèlement sexuel dans les espaces publics. Par ailleurs, 20 ont été enclenchées pour harcèlement sexuel au travail et seulement 2 pour non-respect de la mesure d'interdiction d'entrer en contact avec la victime. D'un total de 3 363 dans l'ensemble, ce nombre réduit contraste avec celui des poursuites pour relations sexuelles hors-mariage, qui a atteint 13 018 la même année. Outre ces documents, la concernée a fait référence à l'article du «Réponse au Maroc : Condamnations pour relations sexuelles extraconjugales», du Centre autrichien de recherche et de documentation sur les pays d'origine et d'asile, ainsi que le «Bref rapport thématique officiel sur le principe ne bis in idem, les condamnations pénales étrangères et la législation sur la vie privée au Maroc» de 2023. Un débat sur les réformes législatives et le principe de la protection Daté du 14 décembre 2023, un courrier de MRA a été joint au dossier. Dans sa requête, la mère explique notamment «devoir s'adresser aux autorités marocaines pour obtenir des documents d'identité officiels pour son plus jeune enfant». «A cet effet, elle devra présenter l'acte de naissance néerlandais sur lequel aucun père n'est mentionné. De cela, les autorités marocaines peuvent déduire que son plus jeune enfant est né d'une relation extraconjugale», retient le Conseil d'Etat dans son arrêt. Quant au courrier électronique de MRA/Mobilising for Rights, il confirme que «lors de la demande de documents d'identité officiels pour un enfant né hors-mariage, les autorités seront informées d'une violation pénale sur les relations sexuelles extraconjugales et procéderont à des poursuites». Dans certaines villes du Maroc, les mères célibataires peuvent donner à leur enfant leur matronyme, ou un nom choisi d'une liste exhaustive. Mais ces pratiques relèvent principalement de l'effort personnel au sein des administrations concernées et celui d'ONG, faute de dispositions légales en la matière. Maroc : A quand le test ADN pour la filiation des enfants nés hors-mariage ? Cette inscription ne permet pas pour autant une filiation paternelle, reléguant ainsi les enfants nés hors-mariage au rang de citoyens de seconde zone. En cas d'action en justice à leur encontre, les mères s'exposent non seulement à une déchéance de tutelle, mais aussi à des contraintes socio-économiques, en termes de réintégration du marché de l'emploi après une peine de prison. Autant dire que la somme des précarités accente les incertitudes sur la qualité de vie des enfants mineurs. Contactée ce mercredi par Yabiladi, l'association MRA s'est félicitée que la décision émane d'une cour suprême, donnant la primauté à l'intérêt supérieur de l'enfant. «Du fait des risques de poursuites pénales et du statut des enfants nés hors-mariage, ces derniers n'auraient peut-être pas pu avoir une scolarité régulière comme tous les autres, en cas de retour au Maroc», nous explique l'ONG. «Les enfants auraient vécu également séparés de leur mère, si une condamnation tombait. L'impératif était principalement que les petits restent avec leur maman et que leurs droits soient garantis, au vu de l'obligation de la protection internationale par les Etats membres de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE).» Association MRA Au-delà du cas individuel, MRA fait part à Yabiladi de «l'espoir que cette jurisprudence permette surtout de faire bouger les choses et d'avoir un apport dans le débat sur la situation des enfants nés hors-mariage au Maroc, dans le contexte de la réforme du Code de la famille, ainsi que celle des mères célibataires, au regard également des dispositions du Code pénal». Article modifié le 28/05/2025 à 20h17