Inlassablement inspiré par le récit égyptien d'hier et d'aujourd'hui, Marwan Hamed conjugue la rigueur d'un documentariste à la créativité foisonnante du réalisateur curieux et inventif qu'il est, pour mettre la barre du cinéma arabe toujours plus haut. Au FIFM 2025, la première mondiale de son nouveau long-métrage «El Sett» révèle un biopic fascinant sur Oum Kalthoum, comme elle n'a jamais été filmée. En 2024, le réalisateur égyptien Marwan Hamed a participé au Festival international du film de Marrakech dans le cadre du programme industrie des Ateliers de l'Atlas, où il a montré des extraits de son long-métrage en projet. Un an plus tard, il fait son grand retour au FIFM 2025 (du 28 novembre au 6 décembre), avec une œuvre finalisée qui promet de marquer le cinéma arabe pour les années à venir : «El Sett». À cette occasion, il a tenu à organiser sa première mondiale dans la cité ocre, la même où il a dévoilé des phases de préparation. Montré ainsi au monde depuis Marrakech, mercredi, «El Sett» se révèle être un biopic captivant et rigoureusement documenté sur la diva de la musique arabe Oum Kalthoum. Avec un travail de recherche et de documentation sur un an et demi, un casting mettant en vedette des comédiens égyptiens parmi les plus talentueux de leur temps, de longs mois de tournage et huit millions de dollars de budget, Marwan Hamed signe sa meilleure œuvre de fiction hautement esthétique. Il recrée le réel à sa manière, enrichit les imaginaires et rétablit l'idée que toute biographie contient sa part de relativité, qui ne saurait pour autant changer certaines vérités. La vérité qu'il dit et met en image sur Oum Kalthoum est que la chanteuse égyptienne, brillamment incarnée par Mona Zaki, a toujours été admirée pour le personnage qu'elle est sur scène. En revanche, on s'est peu intéressé à qui elle est et à ce qu'elle est en dehors des grandes salles de spectacle, en retrait des tournées internationales. Le récit commence ainsi avec le mémorable concert de la diva à L'Olympia, qui devient un marqueur de l'espace et du temps. Une artiste tenace et vulnérable à la fois Le réalisateur s'en sert pour naviguer entre les tranches de vie de l'artiste. En noir et blanc ou en couleurs, en gros plan et en plans fixes, ou en caméra sur épaule, on découvre la fille de paysans soutenue par son père, habillée comme un garçon pour se faire accepter sur les scènes locales du village, les rencontres décisives qui ont lancé sa carrière, sa ténacité à s'affirmer dans le milieu artistique, devenant fondatrice du syndicat égyptien des musiciens et première femme à le présider. On découvre aussi la femme tantôt vulnérable, tantôt incertaine, tantôt affirmée ou rongée par les angoisses, très seule, par choix ou par nécessité, pleinement dévouée à sa musique, à l'apogée de sa carrière ou même en fin de vie, à rebours des aléas de la santé qui s'accumulent. Oum Kalthoum n'évolue pas non plus en retrait de tout un contexte politique changeant. La fin du Protectorat britannique, la révolution de 1952 et la chute de la monarchie en Egypte, la montée en puissance de Gamal Abdel Nasser depuis 1956, ou encore la guerre des Six jours en 1967, terminée avec la prise du Sinaï par Israël, la marquent à jamais. Attachée aux symboles de son pays, la diva puise encore et toujours dans sa force intérieure pour mobiliser son orchestre, vendre ses disques et partir en tournée. Dans une démarche de contribution à l'effort national, elle verse les fonds récoltés de ses spectacles à l'armée égyptienne. En conférence de presse après la projection, Marwan Hamed a expliqué en effet que c'est tout le sens qu'il a souhaité donner au film, en lui choisissant «El Sett» comme titre. Mona Zaki dans le rôle d'Oum Kalthoum «Il ne s'agit ni d'idolâtrer une figure historique de la musique arabe, ni d'accentuer des traits de son caractère au détriment d'autres. Le souci est de montrer, tout en nuance, que cette grande vedette et d'abord une femme, une «sett» issue d'une famille très modeste. Elle s'est battue pour vaincre ses démons et pour se relever après chaque coup porté par les difficultés de la vie. Elle a été en avance sur son temps mais elle est aussi comme nous tous, avec des moments de force et de faiblesse, tout en pouvant servir d'exemple de réussite pour d'autres.» Marwan Hamed Afin de dépeindre cette complexité et cette nuance, le choix de Marwan Hamed s'est porté sur Mona Zaki, à qui il a confié la lourde mission de reconstituer les fragments de personnalité d'Oum Kalthoum. Commentant son travail sur le personnage auprès de Yabiladi, l'actrice égyptienne explique en effet avoir dû commencer par «regrouper les pièces d'un puzzle incomplet». «Peu parmi les proches d'Oum Kalthoum sont encore là. Le scénario devant moi a donc été mon outil principal. Cela a été un défi, dans la mesure où il y a peu de matériel audiovisuel qui nous montre cette diva en interaction en dehors de la scène», nous a-t-elle déclaré. De son vivant, Oum Kalthoum a «donné peu d'entretiens et ses sorties publiques ont été très brèves, à tel point qu'il est difficile de cerner ses gestuelles et sa manière d'être à partir de ces archives», explique encore Mona Zaki. «Dans ses interviews, elle a toujours été extrêmement timide aussi. En l'espèce, beaucoup de parties dans le scénario m'ont demandé de l'effort personnel. En me visualisant le scénario qui m'a été présenté, j'ai aimé le personnage et je l'ai apprécié davantage lorsque j'ai appris plus sur ses sentiments et ses faiblesses. J'ai ensuite essayé de donner le meilleur de moi-même pour incarner tout cela.» Mona Zaki Mona Zaki au FIFM 2025 L'ascension cinématographique de Marwan Hamed Autant dire que depuis 2006, «L'immeuble Yacoubian» est loin d'être un ascenseur en panne dans la carrière cinématographique de Marwan Hamed. Depuis ce premier opus, le réalisateur a donné le ton d'un cinéma qu'il veut résolument porté sur les évolutions qui ont traversé la vie publique de son pays. De ce film inspiré du roman homonyme d'Alaa al-Aswany, relatant une Egypte en bouleversement entre la fin du règne du roi Farouk, la montée des Frères musulmans et l'ampleur de la corruption, jusqu'à «Kira We El Gin» en 2022, en immersion dans la résistance secrète égyptienne en 1919, le cinéaste a développé sa propre approche de revisiter le récit national. Ainsi, Marwan Hamed en fait un narratif imagé, combinant recherche en amont et esthétique soignée, redonnant au septième art arabe ses lettres de noblesse. Il va sans dire qu'avec «El Sett», le réalisateur atteint un nouveau sommet. Dans son ascension artistique ininterrompue, il innove dans le biopic régional, dépeignant le succès et les angoisses d'Oum Kalthoum. Faisant du processus créatif un dépassement de soi, Marwan Hamed aura créé ici une œuvre poétique et accessible, aussi bien pour les nostalgiques de l'âge d'or de la musique que pour les jeunes qui découvriraient la diva à travers ce film. Article modifié le 04/12/2025 à 03h42