Le ministre d'Etat chargé des droits de l'homme, Mustapha Ramid a opposé mercredi une fin de non-recevoir à toutes les revendications d'associations se rapportant aux libertés individuelles. Pour le salafiste Abou Hafs, certaines institutions doivent cesser de se considérer comme «tuteurs de la société marocaine». Interview. «Le Maroc est déterminé à rejeter toutes les pratiques qui portent atteinte à l'ordre moral, telles les libertés sexuelles, les relations sexuelles consenties hors mariage et l'homosexualité.» C'est ainsi que s'est exprimé le ministre d'Etat chargé des droits de l'homme, Mustapha Ramid, mercredi 10 mai devant les membres de la Commission de la justice et la législation à la Chambre des représentants. Une position qui contredit les tendances de l'Etat et les signaux positifs qui s'inscrivent en faveur de la reconnaissance des Marocains chrétiens, et donc de la liberté de culte. Abdelwahab Rafiki, alias Abou Hafs, s'est démarqué en avril dernier en s'affichant pour la parité en matière d'héritage, s'attirant ainsi les foudres des salafistes. Sur les libertés religieuses et individuelles, il persiste et signe. Yabiladi : Certains facteurs laissent entendre actuellement que l'Etat se dirige vers une reconnaissance des Marocains chrétiens. Pourtant, la dernière sortie de Mustapha Ramid risque de relancer le débat sur les libertés individuelles. Qu'en pensez-vous ? D'abord, je pense qu'il faut que l'Etat marocain fasse un pas de géant vers la reconnaissance de la liberté de croyance et présente des garanties pour protéger ce droit. La religion n'a pas à être imposée ; c'est même l'un des grands principes de l'islam. Qu'il s'agisse de Marocains chrétiens ou appartenant à une autre religion ou un autre courant, il faut préserver leurs droits. Il faut que l'Etat préserve et protège la religiosité individuelle. Les libertés religieuses font partie d'un ensemble plus large, à savoir les libertés individuelles. Parmi elles figurent notamment les libertés sexuelles. Votre position se rapporte-t-elle aussi à ces libertés ? Bien sûr. Les libertés individuelles sont des droits que l'Etat doit préserver et protéger parce que nous sommes dans l'ère d'un Etat de droit, dans lequel l'individu doit bénéficier de toutes ses libertés et où ses choix personnels sont préservés et protégés. On ne doit pas baliser le terrain à une société hypocrite dans laquelle les Marocains craignent la punition, le châtiment et l'Etat, alors que ces libertés individuelles et personnelles n'affectent pas l'ordre public. Certes, l'Etat a le devoir de protéger l'ordre public pour éviter les affrontements et les escalades en considérant la mentalité qui prévaut au sein de la société. Toutefois, il ne doit pas intervenir dans les choix personnels des individus. Même l'islam, qui est la religion officielle de l'Etat et inspire à limiter et entraver ces libertés, n'encourage personne à s'immiscer et à s'imposer dans la vie privée des individus. Actuellement, le débat n'avance pas : nous sommes toujours face à deux courants, anti et pro-libertés… Je pense que le débat sur les libertés individuelles doit s'éloigner du cadre religieux. Ce genre de sujet concerne la gestion de la société. Chaque société considère les options et les mesures suggérées et discute de ce qui est bien pour l'ensemble de ses citoyens. Pour cela, l'existence de deux courants au sein de la société, et donc de deux opinions différentes, est une bonne chose. Mais il faut que les débats sociétaux soient ouverts pour parvenir à s'entendre sur cette question. D'ailleurs, je ne préconise pas que deux courants seulement tranchent sur ce genre de question car cela crée deux camps : l'un affirme qu'il défend l'identité alors que l'autre considère qu'il est la voix de la modernité. Ces deux courants ainsi que les autres composantes de la société doivent s'attabler pour discuter et débattre de la question des libertés individuelles et religieuses, comme c'est le cas dans d'autres dossiers. Quel est donc le moyen, selon vous, de hisser le débat sur les libertés individuelles au Maroc et trouver une entente ? Le dialogue sociétal est le seul outil capable de changer et d'assouplir les positions rigides. Preuve en est du Code de la famille : ses dispositions avaient créé un tollé et ont été décriées par des institutions religieuses, officielles et non officielles, comme les courants religieux et les oulémas. Il y a même eu des sit-in et des marches pour dire non à certaines dispositions. Finalement, on a réussi à dépasser tout cela grâce à un débat puis, désormais, une entente. Aujourd'hui, tout le monde travaille avec ces mêmes textes et articles qui étaient autrefois critiqués par les institutions religieuses. Par conséquent, je ne pense pas que l'opposition d'une partie signifie que la question est réglée. Autre point : je dis toujours que les institutions religieuses et certaines parties ne doivent plus se considérer comme partie prenante ou tuteurs de la société marocaine dans ce genre de débat. Elles n'ont que le droit d'exprimer leurs avis tout en respectant la position des autres. C'est le débat et l'entente qui doivent régner dans ce genre de dossier.