En 2013, plus d'un million de Marocains n'étaient toujours pas inscrits à l'état civil, selon un rapport présenté par le gouvernement marocain au Comité sur les droits de l'enfant. En février dernier, la justice marocaine avait amorcé un virage encourageant pour les enfants amputés de leur identité - ou d'une partie. Le tribunal de première instance de Tanger avait en effet reconnu la filiation paternelle d'une enfant née hors mariage, condamnant le père biologique à verser à la mère une indemnisation de 100 000 dirhams pour «réparation». Jugé «historique», le jugement s'était même fait l'écho dans la presse étrangère. Trois mois plus tard, à l'occasion de la journée nationale de l'enfant, une petite dizaine d'associations de la société civile marocaine rappellent toutefois que le droit à l'identité «n'est pas une réalité pour tout enfant né au Maroc». «Inscrire son enfant à l'état civil, s'il est né sur le territoire marocain, est un devoir et un droit. Sans cela, on bafoue l'un des droits fondamentaux de l'enfant, pourtant reconnu dans la Convention internationale des droits de l'enfant dont le Maroc est signataire depuis 1990», indiquent-elles dans un communiqué. Selon un rapport présenté par le gouvernement marocain au Comité sur les droits de l'enfant, plus d'un million de Marocains n'étaient toujours pas inscrits en 2013 à l'état civil. Les associations dénoncent également le fait que l'approche administrative prime sur l'approche droit. «Certains fonctionnaires des guichets de l'état civil refusent d'enregistrer les demandes d'inscription des nouveau-nés si leurs parents ne présentent pas un contrat de bail, une carte de séjour ou un acte de mariage, sachant que ce n'est précisé dans aucune loi», estime Mehdi Ben Khouja, coordinateur de la Plateforme nationale de protection des migrants, l'une des associations signataires du communiqué. La société marocaine et l'Etat, tous deux responsables Elles pointent aussi du doigt plusieurs obstacles : hormis le peu d'information dont disposent parfois les parents, il existe également des blocages sur le terrain, généralement liés à la situation administrative des parents, notamment lorsqu'ils ne disposent pas eux-mêmes de documents d'identité, ou à leur situation économique, lorsqu'ils ne sont pas en mesure de payer les frais d'accouchement. La stigmatisation de certaines personnes peut également être un frein à la reconnaissance de l'identité du nouveau-né. Au milieu des personnes migrantes, des couples non mariés et des enfants en situation de handicap, entre autres, l'opprobre est souvent jeté sur les mères célibataires. «L'enfant qui n'a pas demandé à venir au monde doit être aux côtés de sa mère biologique. C'est à elle que la priorité doit être donnée, c'est elle qui doit être aidée pour retrouver le père biologique dans l'espoir qu'il reconnaisse l'enfant», réagit Aicha Ech-Chenna, présidente et fondatrice de l'association Solidarité féminine. Celle-ci d'ajouter : «Pour moi, les enfants abandonnés qui grandissent dans les orphelinats avec un nom présumé de père, ce n'est pas juste ; l'enfant doit connaître le vrai nom de celui qui lui a donné la vie. Je mets cette responsabilité sur le dos de la société marocaine, qui n'éduque pas ses enfants, et sur l'Etat, qui ne les protège pas suffisamment. S'il y avait une vraie responsabilité, les tests génétiques seraient pratiqués.» A propos du jugement du tribunal de première instance de Tanger, elle déclare : «Le juge n'a fait que mettre en pratique les engagements du Maroc à l'échelle internationale, et les lois en vigueur au Maroc qui protègent les enfants.» Dans la Constitution, l'article 32 dispose en effet que «[l'Etat] assure une égale protection juridique et une égale considération sociale et morale à tous les enfants, abstraction faite de leur situation familiale». Les associations plaident «pour que le droit à l'identité prime sur les autres procédures, et que les engagements internationaux pris par le Maroc soient respectés». D'après elles, les démarches doivent être simplifiées «afin que les personnes puissent les faire par elles-mêmes, sans avoir besoin d'être accompagnées, conseillées par une association.» Enfin, elles recommandent de former et de sensibiliser les fonctionnaires de l'administration aux difficultés rencontrées par certaines familles.