Pour comprendre les conséquences de la tentative de putsch de Skhirat (1971), Yabiladi est parti à la rencontre de participants à cette opération. Ils nous confient ce qui s'est passé et parlent de leur ville, Ahermoumou. Rebaptisée Ribate El Kheir depuis, cette dernière semble avoir été oubliée, tel un châtiment collectif à ceux qui vivent là où tout a commencé. Le 10 juillet 1971 au Palais royal, le Maroc a vécu une première tentative de coup d'Etat, conduite par le général Mohamed Medbouh et le colonel Ahmed Ababou, qui a dirigé l'école militaire d'Ahermoumou. Sans connaissance de leur engagement dans cette opération, les élèves de cet établissement y ont pris part. Ce n'est qu'une fois au Palais royal et au milieu des fusillades qu'ils prennent conscience de la gravité de la situation. Sur les lieux, plusieurs morts ont été comptés dans les rangs des élèves militaires, tandis qu'une partie de ces derniers a rencontré par hasard le roi Hassan II (1961 – 1999). Confrontés à l'absence de leur commandant, d'autres encore ont préféré rentrer à l'école militaire d'Ahermoumou. Au cœur des événements de 1971, d'anciens étudiants se confient Selon les anciens étudiants ayant été conduits au Palais royal pour la tentative de coup d'Etat et rencontrés par Yabiladi, un différend entre le général Medbouh et le colonel Ababou a mis en échec le putsch. Les deux hommes ont finalement perdu la vie au cours de cette opération, considérée comme la première du genre depuis l'indépendance du Maroc (1956). Président de la coordination des victimes d'Ahermoumou, Mohamed Mouttakillah nous confie avoir rencontré l'ancien roi au cœur du palais de Skhirat. C'est à ce moment là qu'il a réalisé ce qui se passait, le souverain l'ayant informé qu'un coup d'Etat était en cours, alors que l'étudiant pensait avoir été conduit sur les lieux pour protéger Hassan II contre d'éventuels ennemis. Bien que Mouttakillah et ses camarades se sont ensuite mis du côté de Hassan II, ils n'ont pas été épargnés par la vague d'arrestation ayant visé des étudiants de l'établissement militaire. Ainsi, tous ont été détenus dans des conditions extrêmes dans une prison secrète à Témara. Le 31 janvier 1972, ils ont commencé à comparaître devant la cour martiale de Kénitra. Le procès aura duré un mois, après lequel dix condamnations à la peine de mort ont été prononcées. D'autres ont été transférés à la prison de Tazmamart. Quant au millier d'étudiants d'Ahermoumou, il a été acquitté pour revenir continuer la formation militaire, mais dans d'autres établissements. En effet, chacun d'eux a été envoyé dans une autre école en restant sous très haute surveillance. Exclus de la société depuis le second putsch échoué Le 16 août de la même année, le Maroc a vécu un deuxième putsch avorté, cette fois-ci sous les ordres du général Mohamed Oufkir, alors ministre de l'Intérieur et de la défense. A l'issue de l'opération, celui-ci sera victime d'un étrange suicide en se tirant trois balles dont la dernière sera fatale. Bien que les étudiants militaires de la première tentative n'aient pas été impliqués dans cette manœuvre, ils ont été interpelés de nouveau puis relaxés. Mais ils racontent avoir été démis de leurs fonctions à cause de l'intervention du général Oufkir auprès de Hassan II pour obtenir leur acquittement au cours du procès de juillet. Les plus chanceux ont été mutés vers des postes civils, mais avec un maigre salaire. Depuis, ces anciens cadres militaires ont vécu dans la précarité, les portes se fermant l'une après l'autre. En effet, plusieurs parmi eux n'ont pas pu se reconvertir dans un nouvel emploi, malgré leur succès dans de nombreux concours. Les choses sont restées ainsi jusqu'à la fin des années 1990. Si par la suite, les anciens étudiants ont présenté leurs dossiers pour obtenir réparation, ils se sont confrontés à la réponse négative des institutions qui se sont déclarées incompétentes. Créée en 2004, l'Instance équité et réconciliation (IER) s'est alignée sur cette position. Aujourd'hui, certains anciens étudiants de l'école militaire d'Ahermoumou sont décédés. D'autres ont la soixantaine mais restent déterminés à faire valoir leurs droits. Quant à leur établissement, autrefois une référence dans la formation des armées au Maroc, il a été abandonné depuis 1971 gardé par seulement une poignée de militaires. La fermeture de l'école militaire d'Ahermoumou a eu des conséquences directes sur les habitants de la ville qui se trouve entre Fès et Sefrou, appelée depuis «Ribate El Kheir». Au lendemain du premier putsch avorté, l'activité économique de cette région s'est presque arrêtée. Plusieurs acteurs associatifs de la ville rappellent que le changement du nom de la ville remonte à l'année 1975, sans que la dévision administrative ne soit acceptée par les habitants. Une région qui est depuis ce triste évènement plongée dans une grande précarité et qui espère un jour une réconciliation tant attendue.