BAGDAD (Reuters) - Trois ans après sa capture dans une cache de sa région natale de Tikrit, Saddam Hussein, qui avait dirigé l'Irak d'une main de fer pendant trois décennies, a été exécuté samedi à l'aube par pendaison. Ses statues et ses portraits géants avaient été déboulonnées, son nom jadis omniprésent avait disparu des bâtiments publics et les manuels scolaires avaient été expurgés des pages de propagande qu'il y avait introduites. Mais jusqu'au dernier moment l'ex-raïs s'est présenté comme le président de l'Irak et, dans une lettre manuscrite écrite après le verdict, il se disait prêt à se sacrifier pour son pays. Capturé en décembre 2003 dans un "trou à rat" près d'une ferme des environs de Tikrit, le "raïs" déchu aura, durant son règne, engagé l'Irak dans les trois grands derniers conflits du Moyen-Orient, laissant son pays exsangue malgré ses richesses pétrolières. Sa fin est intervenue trois ans pratiquement jour pour jour après sa capture. Les Irakiens qui vivaient depuis des années à l'ombre de statues martiales de Saddam Hussein, avaient alors vu à la télévision des images délibérément humiliantes de l'ancien raïs, le visage mangé par une barbe hirsute, subissant, la bouche ouverte, un examen médical. Mais, le 19 octobre 2005, à l'ouverture de son premier procès pour crimes contre l'humanité pour la mort de 148 habitants du village de Djoubaïl après une tentative manquée d'assassinat en 1982, il était apparu dans un costume impeccable, plus combatif que jamais, se présentant comme "le président de l'Irak" et contestant la légitimité du tribunal. Profitant de la tribune que lui offrait le tribunal, Saddam Hussein, toujours soucieux de son image, déclarait en juillet qu'en tant qu'officier, s'il était condamné à mort, il devait être fusillé et non pendu. "Saddam", dont le nom signifie "celui qui fait face" en arabe, faisait l'objet depuis août 2006 d'un autre procès pour génocide lors d'une opération militaire contre des Kurdes, en 1988. Il était dans les deux cas passible de la peine de mort. ELEMENT UNIFICATEUR Régnant d'une poigne de fer, Saddam Hussein avait réussi, lorsqu'il était au pouvoir, à éviter l'explosion des tensions entre Kurdes, chiites et sunnites, ses coreligionnaires qui, sous son régime, tenaient le haut du pavé en Irak. Mais avec l'effondrement des instances de sécurité qui a suivi l'invasion américaine, l'insurrection sunnite et les affrontements intercommunautaires ont fait des milliers de morts en Irak. De sa prison, Saddam avait exhorté les Irakiens à cesser de s'entretuer et à se concentrer sur la lutte contre les Américains. Fin tacticien, il avait toujours compris l'importance de se présenter un élément unificateur d'un pays constitué d'une mosaïque de communautés ethniques et religieuses. En tant que président, il a ainsi tour à tour joué la corde du nationalisme arabe, de l'islam et du patriotisme irakien. Au tribunal, il se présentait comme un pieux musulman, ne se déplaçant jamais sans son exemplaire du Coran. Ses avocats et co-inculpés lui donnaient respectueusement du "M. le Président", un titre qu'il a officiellement pris en 1979 après la mise à l'écart d'Ahmed Hassan al Bakr, président du Conseil de Commandement de la Révolution (CCR). ORPHELIN Né le 28 avril 1937 dans le village d'Al Aoudja, proche de la ville de Tikrit, à 150 km au nord de Bagdad, Saddam Hussein est orphelin de père à l'âge de neuf mois et élevé par un oncle. Dès 1953, il a déjà des démêlés avec la police du royaume pour ses activités politiques. A l'âge de 18 ans, il se rend à Bagdad pour ses études et prend part à un soulèvement contre la famille régnante pro-britannnique en 1956. Peu après, il adhère au Parti Baas. La monarchie est renversée en 1958. L'année suivante, en octobre, Saddam participe à la tentative d'assassinat visant le président Abdelkrim Kassem. Le complot est éventé et le conspirateur fuit en Egypte, puis en Syrie. Il regagne Bagdad à la faveur du putsch militaire qui porte lei Baas au pouvoir, en février 1963, mais, neuf mois plus tard, les baassistes étant renversés, il doit se cacher. Arrêté, jeté en prison, il est libéré en 1966. Il participe au putsch qui porte de nouveau au pouvoir les baassistes le 17 juillet 1968. Nommé vice-président du puissant Conseil de commandement de la Révolution, il fait bientôt figure d'homme fort du pays derrière le chef de l'Etat, Ahmed Hassan al Bakr, de santé fragile, auquel il succède en juillet 1979 après avoir procédé à une vaste épuration au sein des instances dirigeantes du parti. Un an environ après son arrivée à la présidence, le 22 septembre 1980, éclate la guerre Iran-Irak, le premier des grands conflits survenus sous son règne. Cinq ans plus tôt, à Alger, Saddam Hussein avait "réglé" le contentieux frontalier du Chatt al Arab avec l'Iran voisin, alors dirigé par le chah. La Révolution islamique qui s'est mise en place entre-temps en Iran constitue à la fois une menace et une occasion pour Bagdad, qui, depuis l'accord de paix israélo-égyptien, cherche à prendre la tête du monde arabe. Saddam Hussein craint, avec la victoire des chiites à Téhéran, le risque de déstabilisation du Sud irakien, peuplé majoritairement de chiites. Aussi, en septembre 1980, dénonce-t-il l'accord d'Alger et lance-t-il une guerre qui se voulait éclair, manifestement destinée à conquérir la province pétrolière arabophone du Khouzistan. DIABOLISATION Même s'il a été soutenu en sous-main par les Occidentaux dans ce conflit, c'est sans compter avec la puissance et la résistance des Iraniens, et il faudra huit ans à Saddam Hussein pour sortir son pays d'une guerre qui aura fait autour de 700.000 morts, dont 300.000 côté irakien. Deux ans après la fin de ce conflit, confronté à une lourde dette, estimant que le Koweït est une province irakienne, il lance son armée sur l'émirat, le 2 août 1990. Les dirigeants occidentaux, qui l'avaient jusqu'alors soutenu, diabolisent alors Saddam Hussein et les Nations unies décrètent un embargo international contre l'Irak. Au début de 1991, Saddam Hussein, intransigeant, se dit prêt à livrer la "mère de toutes les batailles" face à la coalition internationale, composée de 28 nations et menée par les Etats-Unis. La guerre du Golfe ébranlera le pays, mais, dès la fin du conflit, Saddam Hussein mate dans le sang les insurrections kurde dans le Nord et chiite dans le Sud, qui ont éclaté au début du mois de mars. Si le Kurdistan irakien échappe au contrôle de Bagdad, la mainmise de Saddam Hussein sur le reste du pays reste intacte. Un plébiscite le reconduit pour première fois pour sept ans à la tête de l'Etat en octobre 1995, et une seconde fois, en 2002, pour un nouveau septennat. Après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le président George W. Bush choisit l'Irak comme prochaine cible, après l'Afghanistan, de sa "guerre contre le terrorisme". Depuis l'invasion américaine, de nombreuses preuves de la brutalité du régime de Saddam Hussein sont apparues avec la découverte notamment de fosses communes contenant les restes de ses adversaires, notamment kurdes et chiites. Mais les forces américaines n'ont trouvé aucun élément accréditant les allégations américaines selon lesquelles Saddam disposait d'armes de destruction massive ou entretenait des liens avec Al Qaïda, prétextes invoqués par l'administration Bush pour justifier la guerre.