Le réel ne nourrit plus son homme, c'est le virtuel qui le remplace. La toile, et les réseaux sociaux qu'elle supporte, donne à la communication un impact beaucoup plus important qu'auparavant. Certains en font le moteur du changement des structures sociales; car sans rompre l'isolement, les techniques de la communication développent l'échange voire la collaboration entre les personnes. Plus que tout autre média, l'internet a permis à la virtualité de devenir un lien social par excellence. Paradoxes du net: on communique avec tous et partout sans que cela se fasse parfois avec les plus proches. De même, le lien social virtuel développe une méfiance envers l'autre tout en suscitant le rassemblement des masses. On s'envoie des texto à tout moment et en toute circonstance comme pour archiver le temps et les événements qui lui donnent consistance. L'information est ainsi fournie sans qu'elle puisse servir ou qu'elle puisse susciter un intérêt; mais elle sédimente dans le cloud à des fins ignorées par ses utilisateurs immédiats. Cette culture de l'instantané et de l'immédiateté fait que les personnes n'arrivent plus à se passer du virtuel pour être. Développer un blog ou avoir un site est devenu une auréole dans la virtualité où les commentaires sont autant sollicités que le «j'aime» dont le nombre reflète l'étendue de la relation sociale, sans pour cela être l'expression d'un sentiment d'acquiescement. L'addiction est telle que les évolutions physique futures de l'espèce humaine peuvent porter beaucoup plus sur la vision que sur le cerveau. L'écran s'interpose avec le réel et les effets pernicieux de la virtualité des rapports sociaux ne diminuent en rien l'engouement des personnes qui, de ce fait, se créent leur propre monde. Il n'y a qu'un pas pour confirmer que l'identité se trouve par ce biais redéfinie en dehors de l'environnement traditionnel. La globalisation entreprend les individus en les libérant sans pour autant les intégrer dans le microcosme sociétal dans lequel la vie réelle les contraint. «Être ou ne pas être ?» n'est plus une question qui se pose puisque chaque personne a la possibilité de se dissimuler derrière plusieurs avatars. Paravents de la personnalité, ces derniers permettent l'expression de l'intime sans appréhension ou, parfois même, avec exubérance. Homo sapiens se projette dans les sites virtuels selon plusieurs types d'identités qui s'adaptent à un communautarisme où les droits et les devoirs sont strictement respectés dans le virtuel alors que ces mêmes droits et devoirs sont bafoués ou non reconnus dans le réel vécu. Du prosélytisme à l'apologie, de l'invective au conseil détaché, les messages sont livrés à l'accueil pour l'ensemble des connectés transformant chaque personne en medium et faisant des mass media l'outil du positionnement social. Le temps de l'organisation révolutionnaire pour changer la société se trouve décalé par rapport au virtuel tel qu'il est vécu. Absurdité pour un militant qui ne s'est pas fait encore à la politique mais qui n'empêche aucunement le politologue de parler de «parti électronique» où les valeurs démocratiques prônées par la globalisation poussent plus au changement que la lutte des classes déterminée par l'économique et le degré de l'exploitation de l'homme par l'homme. Rupture anthropologique éliminant le décalage temporel sans pour autant éliminer les distances, les nouvelles technologies de l'information causent aussi une fracture qui s'ajoute à l'analphabétisme et autres privations traditionnelles de tout ce qui fait la modernité. Il reste que certains, très peu nombreux, ont fait leur beurre dans le réel en développant le virtuel dans lequel beaucoup plongent pour échapper au réel sans pour autant arriver à s'en sortir. Changement quand tu nous tiens! Encore faut-il pouvoir se nourrir dans et par le virtuel pour pouvoir se retrouver véritablement dans le réel.