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Le fou de la mer
Homme libre, toujours, tu chériras la mer !
Publié dans Albayane le 12 - 05 - 2015

Ecoutez-moi, bonnes gens ! Ne partez pas ! Je ne suis pas fou. Je sais des choses très importantes. Je sais lire et écrire, je suis instruit. Ecoutez-moi, bonnes gens ! Je vois des choses que vous refusez de voir. Ne partez pas, je sais qu'ils viendront.
Je vais vous conter une histoire. Depuis longtemps je ne dis rien, depuis que j'ai répudié les hommes pour épouser la mer. J'ai enduré sans me plaindre. Des matraques de bois et de fer me martèlent la tête et je persiste. La mer se joue de moi et s'entête à me faire attendre et je suis patient.
Aujourd'hui je vais parler : j'en ai marre (comme dit la chanteuse) ! Je vais pleurer et mordre. Je vais dévider devant vous mes tripes, mon cœur, ma tête et mes veines. Je vais me confesser et riposter. Je vais gémir et hurler. Je vais me plaindre et m'insurger. Je vais dire la vérité, rien que la vérité,toute la vérité ;je ne le jure pas .Je vais me mettre à nu devant vous, bonnes gens, en vous priant d'accepter ma nudité comme vous tolérez vos masques. Ne soyez pas surpris devant mon corps squelettique. Ne soyez pas choqués en voyant mon visage boueux et ma bouche écumeuse ; ce n'est pas grave, c'est l'apothéose de leur monstruosité. Bonne gens, ayez la patience de l'arganier et la résistance du chameau et écoutez mon histoire jusqu'à la fin ! Ne vous endormez pas ! Pour une fois restez les yeux bien ouverts, regardez la mer et écoutez-moi attentivement, sagement, comme les enfants.
Je ne vous conterai pas une histoire des « Mille et Une Nuits » ; je ne suis pas Shéhérazade. Je ne vous conterai ni l'amour fou de Kaïss pour Leïla, ni la bravoure et la force d'Antar.
Mon Antar meurt chaque nuit sur l'échafaud des monstres avides de sang. Mon Kaïss est amoureux fou de justice et de liberté... Moi, je vous conterai l'histoire simple de gens simples comme vous. Ecoutez bien :
Je suis né une nuit estivale. Ma mère m'a raconté que cette nuit-là était sombre et les assauts du Chergui éteignaient à chaque instant la bougie qui éclairait timidement le taudis. Elle m'a dit aussi qu'elle avait beaucoup souffert en m'enfantant ; c'était son premier accouchement. Elle hurlait comme une bête blessée à mort. Elle se tirait les cheveux et se griffait le visage sauvagement. Elle était inondée de sueur. Elle se battait pour la vie. Quand mon premier cri est venu se mélanger à la cacophonie du monde, la sage femme « lalla khadija » a annoncé à mon père que sa femme lui avait donné un garçon, un mâle. Fier et joyeux, il s'est mis à crier et à trépigner comme un singe. Il est sorti courir dans le bidonville en criant : « Je suis devenu père ! J'ai un fils ! Un garçon ! » Il m'a baptisé « Mohamed » pour que je sois un bon musulman et pour que mon prénom me porte chance. On m'a fait ingurgiter une cuillerée de miel et c'était tout ce que j'avais mangé de succulent de toute ma vie. J'ai grandi invisiblement dans la boue de notre bidonville appelé « Jamaïka ». Il se trouve à « Anza » : le quartier des ouvriers, des marins, des pêcheurs, des cireurs, des chômeurs... Ceux que l'on appelle simplement les « pauvres » pour faciliter les choses. Et mon père en est un. Notre maison, pardon, notre « masure » (je l'appelle « maison »par habitude) se trouve à la limite du bidonville, juste à côté d'un grand mur d'une usine de sardines. Un petit sentier par lequel passent les gens, rase le mur.
Plusieurs d'entre eux, incapables d'attendre, soulagent leurs besoins naturels en arrosant le mur ou même en... L'odeur de l'urine et des excréments n'est plus nauséabonde pour nous. Nous nous sommes entraînés à l'accepter comme nous avons appris à sentir la bonne odeur des sardines pourries.
Mon père me dit toujours : « Embrasse ma main, sois un bon élève et tu seras béni ! » Je suis béni, par mon père, par Dieu. Je suis maintenant en 3ème année secondaire. Je m'évertue à réussir à la fin de chaque année pour ne pas être expulsé de l'enseignement gratuit.
Ce soir, mon père rentre très tard. Sa dispute avec ma mère me réveille en sursaut. Il a encore passé la nuit dans un de ces bars pourris où il a laissé la moitié de sa paie.
Le patron de l'usine de sardines l'a convoqué à son bureau pour lui annoncer froidement que l'on n'a plus besoin de ses services à l'usine : il devient de plus en plus faible et nonchalant, il est souvent malade, sa capacité de production diminue chaque jour. Que vaut un ouvrier qui ne peut plus produire ? On doit le chasser puisqu'il y en a d'autres encore jeunes, en bonne condition physique, attendant devant le portail. Jeter un ouvrier à la rue est un devoir envers l'usine et le progrès de notre pays.
Le patron lui a expliqué tout cela calmement et avec une grande certitude : Affamer un ouvrier et sa famille après toute une vie de travail est tout à fait normal, cela arrive toujours, cela fait partie des règles du jeu et il faut être bon joueur.
Etant obligé d'être bon joueur, mon père a été chassé de l'usine après une vie de sueur et de poussière, une vie de misère et d'odeur de sardines, une vie de mutisme et de prosternation, une vie de fatalisme et d' « incha Allah », une vie de pain et de thé. Des ouvriers lui ont conseillé de se plaindre auprès de l'inspecteur du travail. D'autres ont refusé cette suggestion affirmant que l'inspecteur est corrompu par le patron.
Quelques-uns lui ont chuchoté d'aller au syndicat : il lui rendra son droit. Un jeune ouvrier leur a demandé d'organiser une grève de solidarité avec « Bâ Tahar » (c'est ainsi que tout le monde appelle mon père) et exiger que le patron revienne sur sa décision.
Les autres ont repoussé violemment cette demande en disant qu'ils ne risqueront pas leur place pour un seul ouvrier et qu'il faudrait une cause et des revendications collectives pour se mettre en grève.
« D'ailleurs, le patron aime les ouvriers qui triment et se taisent », a dit un délateur.
Mon père les a laissés discuter... il est allé au bar.
Devant le zinc, il a vidé sa tête de tous les horizons heureux. Le mauvais vin l'a jeté dans un gouffre de désespoir et de dégoût. Il ne croit plus à la vie, il ne croit plus aux hommes, il n'a plus de but. Sa tête est lourde et vide. Il est perdu.
Ma mère l'insulte. Elle lui dit qu'il est un homme indigne d'être responsable d'une famille, qu'il est la cause de notre malheur, qu'il ne sait que lui faire des enfants et laisser sa paie au bar avec les ivrognes et les prostituées. Emporté par le vin, mon père la traite de pute et de fille de pute. Il la gifle. Elle se sauve en hurlant.
Il la suit. Ils cassent tous les ustensiles de cuisine que nous possédons. Je sors. Je passe le reste de la nuit dehors. Je regarde la mer et je pleure avec les rochers et la lune.
Le lendemain, mon père vient vers moi, rouge de colère et me crie au visage :
« - Que fais-tu ?
- Je lis un livre.
- Un livre. Et qu'est-ce qu'il y a dans ce livre ?
- C'est un livre important : il montre le vrai contraste entre la réalité et son changement historique.
- Qu'est-ce que tu racontes ? De quoi parles-tu ?
- Je parle de la misère et de la souffrance des pauvres. Je parle de...
- Au lieu de parler, va chercher du travail ! Ce n'est pas avec les livres que l'on changera le monde. Allez, sors ! Et la prochaine fois que je te vois avec un maudit livre à la main, je te le ferai manger !
- Mais tu ne comprendras donc jamais !
- Je ne veux pas comprendre, je veux manger !
- Manger sans comprendre est amer.
- Pas tant que d'avoir faim. Va chercher du travail, je te dis !
- Mais... Et mes études ? Et mon bac ?
- Je ne peux pas attendre que tu aies le bac. Tu dois passer un concours. Trouve n'importe quoi, démerde-toi ! Ta sœur aide la famille mieux que toi.
- Mais quel concours ? Il n'y a plus de concours... nulle part... rien !
- Rien, rien, rien ! Ça ne se mange pas « rien » !
Je le laisse seul et je sors. Je ne cherche pas de travail, je ne cherche pas de concours, je sais que je n'en trouverai pas. Je lui dirai que j'en ai cherché pour qu'il me laisse dormir à la maison.
Je sais que ma sœur aide la famille mieux que moi. Elle « apporte » de l'argent, mais pas uniquement de son travail à la pâtisserie. Ma mère le sait très bien et se tait. Elle l'encourage même en cachant ses absences nocturnes à mon père.
Quand il s'en aperçoit, elle lui dit qu'elle est invitée à un anniversaire, à un mariage ou à une fête. Belle fête ! Je le sais depuis un an et je ne peux rien dire.
Les garçons du bidonville me disent qu'ils la voient monter dans les voitures. Que faire ? Je ne suis qu'un élève, mon père n'a plus de travail. L'honneur n'a aucun sens pour des hommes comme nous.
Je sais que ma sœur se prostitue. Je sais que mon père vend du kif. Je sais que j'ai raté mon bac.
Je sais que mes petits frères ramassent des sardines au port, cirent les chaussures des gens comme il faut et vendent des cigarettes au détail. Je sais que ma mère est déchirée, usée. Je sais que je suis l'aîné et je suis impuissant. Je sais et je hurle en silence notre malheur et je ne fais rien. La nuit, des mouches chantent en chœur et des chiens aboient dans ma tête. Elle me fait mal, très mal... Je tourne en rond et je me parle pour la refroidir... Je me parle, je me parle... Jusqu'au matin.
Le temps passe. Un mois ? Une année ? Un siècle ? Je n'en sais rien. Un soir mon père crie : « J'en ai marre ! Tfou ! » et s'éteint pour toujours. Après sa mort, je ne parle plus aux hommes. Ils ne me comprennent pas. Ils ne veulent pas me comprendre. Je parle seulement à la mer. Elle sait m'écouter. La nuit, je ne dors plus. Je vais voir la mer et nous parlons de la vie, de la mort et de plusieurs choses encore. Chaque nuit, elle me montre un secret. Des fois, j'y vois des filles qui dansent et des enfants qui rient. Il y a des moments où j'y vois des monstres qui violent ma sœur et la jettent au feu. J'y vois aussi mon père qui me dit en ricanant : « Tu es fou ! Tu iras en enfer ! Tu n'es pas mon fils ! » J'y vois ma mère qui me montre son sein d'où gicle le sang.
Je ne vais plus chez nous ; ma sœur y fait entrer des hommes pour la survie. Ils s'accouplent dans le lit de mon père. Les hommes paient et sortent. Je ne peux pas dormir, je ne peux pas respirer ; je ne peux pas vivre dans cette maison-lupanar : leurs rires, leurs gémissements, leurs cris me tuent. L'odeur du hachisch, de la bière et du vin rouge m'asphyxie. Je me sauve... J'ai besoin du silence, de l'infini, de la sagesse, de la pureté... Je vais voir la mer.
La mer est puissante, mes frères. Vous devez tout sacrifier pour gagner sa confiance. Sinon elle vous refusera et ne vous montrera rien.
Quand je raconte cette vérité aux gens, quand je leur parle de ce que me montre la mer, ils ne me croient pas. Ils soupirent et disent : « Le pauvre garçon ! Il a perdu l'esprit ! » Les petits enfants ne me laissent pas tranquille ; ils m'appellent le « fou de la mer » et me jettent des pierres. Pourquoi ? Moi, je les aime.
Non, je ne suis pas fou, je sais beaucoup de choses, je sais lire et écrire, je suis instruit. Je ne suis pas fou. Je peux vous expliquer la relativité d'Enstein et la poussée d'Archimède. Je peux vous démontrer toutes les fonctions mathématiques, les suites et plus l'infini. Je connais tous les poètes, de Jamil Boutaïna jusqu'à Mahmoud Darwich. Je connais même « les sœurs de kana ». Je peux aussi faire la concordance des temps, la concordance des étoiles. Je peux conjuguer tous les modes et tous les temps même le « futur compliqué ». Je vous expliquerai la biologie, l'anthropologie, l'astrologie, l'archéologie, la sociologie, la magie et même la bougie. Non, je ne suis pas fou, je suis un intellectuel, un savant. Je suis le savant arabe « Mohamed fils de Bâ Tahar » et vous m'appelez le « fou de la mer » ! Vous êtes malades ! Vous n'avez aucun respect pour le savoir et la science ! Non, ne vous fâchez pas ! Ne partez pas ! Si mon histoire ne vous plaît pas, je vous en conterai une autre plus jolie et plus dramatique ; celle de « Elbaz d'Anza ».
Quoi ? Vous ne la connaissez pas ?
Restez ! Ne soyez pas pressés ! Je vous donnerai la vérité que vous cherchez. Je vous montrerai tous les secrets et je vous ouvrirai toutes les issues. Ne partez pas ! Je vous dirai des choses que vous refusez de voir. Restez ! Je sais qu'ils viendront. Ils viendront venger mon père et tuer le patron. Ils viendront sortir ma sœur du feu et brûler les monstres.
Ils viendront rendre le lait dans le sein de ma mère.
Ils viendront remettre le sourire sur les lèvres des enfants et faire danser les filles. Ils viendront redonner la beauté et la jeunesse à notre cité. Ils viendront effacer le mal et libérer les hommes. Ils viendront de la mer. Du fond de la mer, ils viendront.
Et ils feront trembler la terre. Vous ne me croyez pas, mais moi je sais. La mer me l'a dit. La nuit, je ne dors pas, je les attends.
Ils viendront... Attendez ! Ne partez pas ! Je ne suis pas fou ! Ils viendront. La mer est enceinte et le jour de l'accouchement est proche, croyez-moi ! Ils viendront... Je ne suis pas fou...


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