Deux journalistes français, Christophe Deloire et Christophe Dubois viennent de publier, chez Albin Michel, un livre intitulé «Les islamistes sont déjà là» et qu'ils présentent comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Nous en publions les bonnes feuilles, chapitre par chapitre. L'islamiste recrute sous couvert d'insertion Paris, 8 octobre 2003 L'intention est en apparence louable. L‘association s'appelle Jeunes en mouvement. C'est beau comme du Jack Lang. Déposés le 19 janvier 1992 à la préfecture de police de Paris, ses statuts précisent qu'elle a pour objet de «contribuer à l'action des jeunes, la formation morale, physique, pratique et civique des enfants et adolescents». Ses promoteurs cherchent à «renforcer l'identité des jeunes». Parfait. Ils organisent des animations pour les jeunes en difficulté. Méritoire. Au programme : visite du parc de Vincennes, balade à la Villette, voyage dans les bases de loisirs autour de Paris, escalade dans la forêt de Fontainebleau, soutien scolaire… Mais si l'on regarde de plus près, l'association affiche des principes un peu trop stricts pour être honnêtes. Primo : «commander le bien et interdire le mal; être fier de sa foi et lui soumettre toute sa vie ; être bon citoyen». Secundo : «le premier devoir d'un jeune en mouvement commence avec les parents». La composition du conseil d'administration donne un éclairage. En 1999, l'un de ses membres, Abderrazak M., a été condamné à quatre ans de prison après la découverte d'armes et d'équipements de tir à son domicile. Il avait sa carte du Front islamique du salut algérien. Un autre, Jamel G., est un opposant islamiste tunisien. Pour couronner le tout, les deux fondateurs de l'association Mehrez Azouz et Khelaf Hamam, sont mis en examen en 2003 pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste», dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat du commandant Massoud en septembre 2001. Interrogé par laDST, Khelaf Hamam s'explique sur jeunes en mouvement: «Notre but était de ramener les jeunes en difficulté dans le droit chemin par la pratique de la religion 1.» Des sorties au grand air pour «ne pas faire de mal autour de soi comme beaucoup de jeunes dans les cités qui volent, par exemple». Un seul remède : «Ces jeunes devaient se soumettre à Allah à travers toutes les activités de l'association.» L'Islam, ou plutôt l'islamisme, comme béquille sociale. Si ce n'est que l'un des fondateurs de Jeunes en mouvement, Mehrez Azouz, soupçonné d'avoir été en contact avec des recruteurs d'Al Qaïda, est devenu l'un des principaux organisateurs présumés de stages d'entraînement en France visant à envoyer des volontaires en Afghanistan. Après la mise en sommeil de l'association au milieu des années 90, plusieurs de ses adhérents ont participé à ces activités paramilitaires. On fait mieux comme filière d'intégration. La confusion des genres ne date pas d'hier. Dès 1995, les RG tirent la sonnette d'alarme 2. La responsable de la section villes et banlieues, la commissaire Lucienne Bui Trong, est l'une des premières à détecter de nombreux « signaux» remontant des quartiers difficiles. Mais sa hiérarchie mettra du temps avant de bien vouloir tenir compte de ce phénomène. Selon les policiers de terrain, des fondamentalistes prennent en main des associations et effectuent un travail de «noyautage» auprès des jeunes en difficulté. À Maubeuge (Nord), un représentant du Tabligh demande aux jeunes de renoncer «à l'intégration si elle nuit à l'Islam». À Marseille, le responsable d'une association des quartiers sud «pousse les jeunes de la cité à la rébellion contre les pouvoirs publics et sape systématiquement l'action des travailleurs sociaux». À Lyon, des activistes menacent un chargé de mission de la ville, qui a eu le tort de refuser une subvention à une association islamiste. Mais souvent le noyautage est plus subtil et reçoit l'approbation des pouvoirs publics. Au Creusot, une association présentée comme le «relai de la FAF (Fraternité algérienne en France) et du GIA» obtient des locaux au sein de la Mission locale pour l'emploi. Pour recruter les apprentis islamistes, l'endroit est stratégique. À Lormont (Gironde), un Marocain «défavorablement connu au plan pénal, islamiste radical», impose son association au sein du «conseil communal de prévention de la délinquance». «Les élus ont commis une erreur fondamentale dans les années 90. Ils ont donné les clés du quartier aux islamistes contre l'abandon des incendies de voiture», regrette la secrétaire d'État au développement durable, Tokia Saïfi. L'achat de la paix sociale, parfois avec le soutien du Fonds d'action sociale, produit vite ses effets pervers. En 1989, à Suresnes, un ancien champion de boxe thaï anime l'Association suresnoise d'art martiaux (ASAM). Ce battant est débordé par les «grands frères», qui transforment la salle d'entraînement en lieu de prosélytisme. «L'attitude des pouvoirs publics, les élus locaux essentiellement, peut sembler discutable. L'ASAM a vécu grâce à l'argent public sans pour autant faire l'objet d'un contrôle plus ou moins poussé3. À Vénissieux, dans la banlieue de Lyon, l'Union des jeunes musulmans (UJM) constitue l'interlocuteur privilégié de la municipalité au point qu'actuellement il est pratiquement impossible à cette dernière de diriger une quelconque action sans passer par la nébuleuse de l'UJM4». À Vénissieux d'ailleurs, l'imam de la mosquée Abou Bakr,Ghellali Benchellali, anime l'association Ouverture. Pendant de longues années, il bénéficie d'un local prêté par l'office des HLM de la ville. Début 2004, la DST l'interpellera, lui et sa famille, dans le dossier terroriste des «filières tchétchènes». Dès 1995, le constat des RG est alarmant : sur l'ensemble de la France, «plus de deux cent dix associations, dont une vingtaine liées à des mouvements islamistes armés», mènent alors «une action prosélyte islamique» sous couvert de «buts socio-éducatifs, culturels ou autres». Les auteurs d'une synthèse longue de quarante sept pages soulignent la responsabilité des familles. Il est «préférable pour beaucoup de parents de voir leurs enfants s'orienter vers une pratique du culte plutôt que de les laisser basculer ves la délinquance ou la drogue (…) : le danger de l'intégrisme apparaît comme minime comparativement à la situation existante». En raison de la «déficience des religieux de tendance modérée», les «intégristes» (sic) s'engouffrent dans la brèche : «Souvent issus de la même génération, ayant connu les mêmes difficultés, eux-mêmes nouveaux convertis, militants proches des mouvements d'opposition maghrébins, possèdent un certain bagage intellectuel et une aptitude au dialogue, ils sont porteurs du même discours de révolte contre une société ne leur offrant pas les possibilités d'insertion qu'ils désirent, accusant un Occident corrompu, sans valeur morale». La situation est déjà grave. «Cette stratégie rappelle les débuts du FIS algérien, lequel avait axé une grande partie de son action militante sur les «laissés-pour-compte» (…). Cela rejoint en fait la démarche classique des Frères musulmans.» La conclusion est pessimiste : «L'islamisme intolérant ouvre un fossé entre les jeunes et le reste de la société «laïque».» En conclusion, les RG avertissent: «La menace résulte davantage de l'utilisation à des fins politiques par des groupes activistes de jeunes délinquants en quête d'identité, prompts à adopter un combat présenté comme légitime et de nature à modifier leur condition sociale en France.» Le tout pour disposer à terme «d'un lobby musulman, apte à faire pression sur les pouvoirs publics pour tenter d'obtenir la satisfaction de leurs revendications identitaires 5». Bref, la politique de la ville a eu des effets contraires à ses objectifs : «Au lieu de permettre une ouverture des jeunes sur le reste de la société, les projets adoptés les confinent dans un territoire fermé, avec un discours revendicatif du droit à la différence et des pratiques lobbystes allant jusqu'au recours à l'intimidation 6.» Ce constat inquiétant a presque dix ans. Qu'a-t-on fait depuis . On a augmenté les moyens de cette politique de la ville. Avec le succès que l'on sait. 1. Procès-verbal d'audition de Khelaf Hamam, DST, 8 octobre 2003. 2. «Réislamisation des jeunes musulmans sous couvert d'actions socio-éducatives». DCRG, 1995. 3. «L'islamisme des banlieues» Aymeric Philipon, Département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines. 4. «Réislamisation des jeunes musulmans sous couvert d'actions socio-éducatives», DCRG, 1995. 5. Ibid 6. «État des lieux annuel des quartiers difficiles» DCRG, 1997.