Loin des formes habituelles de reconnaissance ou de loyauté organique au sein d'un appareil politique, les prises de parole récentes de plusieurs responsables du RNI s'apparentent, par leur ton et leur contenu, à une entreprise de vénération organisée consacrée à Aziz Akhannouch, alors que son bilan est désastreux. Le parti de la majorité semble désormais moins animé par un projet collectif que par l'obsession de légitimer et d'exalter un homme – au risque de vider la politique de son essence pluraliste. La scène était parfaitement réglée à Dakhla, les 3-4 mai : sourires disciplinés, applaudissements surgis à l'unisson et, surtout, une série de discours tressés dans une même matière – l'éloge, sans mesure ni réserve, du chef du gouvernement, Aziz Akhannouch. L'atmosphère, à mesure que les mots enflaient, s'est chargée d'une chaleur feutrée, non de celles que provoque la conviction, mais plutôt d'un empressement cérémoniel à proclamer la grandeur d'un homme. Ce culte de la personnalité, soigneusement huilé et désormais assumé, confère aux rassemblements du RNI une tonalité qui rappelle moins les traditions démocratiques que les mises en scène univoques des régimes autoritaires. À Dakhla, certains ont murmuré, mi-amusés, mi-inquiets, qu'il ne manquait que les portraits géants et les chorégraphies militaires pour parachever l'impression du parti unique. D'autres, plus caustiques, ont parlé de «Kim Jong-Akhannouch», tant le lexique employé pour évoquer le chef du gouvernement frôle parfois l'onction divine : infaillible, intouchable, irremplaçable. Comme dans certaines contrées d'Asie centrale ou dans la péninsule coréenne, où l'on confond volontiers la fidélité avec la soumission, le pouvoir avec le dogme, le RNI semble avoir troqué l'espace du débat contre celui de la liturgie. Ce qui frappe, ce n'est pas tant l'autorité du chef que le silence de ceux qui devraient la contrebalancer. Aziz Akhannouch jusqu'à la nausée La montée en puissance de la rhétorique laudative autour du chef du gouvernement Aziz Akhannouch, également président du Rassemblement national des indépendants (RNI), est devenue un sujet récurrent. Une orientation verbale de plus en plus appuyée, jusqu'à frôler l'hagiographie, qui prouve que le RNI s'achemine vers une personnalisation exacerbée du pouvoir exécutif partisan. Dans un propos public aux accents pour le moins définitifs, Lahcen Essaady s'est illustré en déclarant sans ambages : «Le seul qui a transformé la politique au Maroc, c'est Aziz Akhannouch, qu'on le veuille ou non.» Devant une telle effusion, la stupeur a été d'autant plus grande que Aziz Akhannouch, loin de désavouer cet excès, s'en est réjoui, allant jusqu'à applaudir aux côtés de plusieurs ministres et cadres du parti. Le caractère de ces éloges dépasse les usages habituels de la vie parlementaire et semble témoigner d'un changement de paradigme dans la communication politique : à une culture de la retenue et de la responsabilité succède une forme de dévotion publique, presque incantatoire. Une confusion des rôles Plusieurs critiques politiques rappellent que M. Akhannouch lui-même s'est toujours défendu d'être un homme politique au sens strict du terme, préférant évoquer une «mission». Cette autodéfinition, énoncée à l'orée de son mandat en 2021, semble aujourd'hui contredite par une mise en scène croissante de son rôle central, d'ailleurs contesté, au sein du gouvernement que du parti. Une fidélisation partisane à la limite de l'allégeance Fatima Khair, députée RNI et membre de son bureau politique, s'est récemment dite «fière d'appartenir à un parti conduit avec sagesse par un homme de décision.» Ce concert de flatteries trouve un écho similaire dans les déclarations de Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants, pour qui «le RNI gouverne avec légitimité, et continuera de gouverner pendant vingt ans.» Cette tonalité triomphaliste n'échappe pas à la vigilance de certains analystes, qui redoutent une dérive vers une verticalisation du pouvoir dans l'espace partisan. Le RNI, devenu quasi-monolithique, semble privilégier la loyauté envers le président du parti à l'exercice critique de la pensée politique. Le lancement de la campagne dite «Massar al-Injâzât», qui parcourt les douze régions du pays, offre à M. Akhannouch une tribune de prédilection où se mêlent annonces gouvernementales, autocélébration et exaltation de l'homme providentiel. Le discours, sans contradiction interne, martèle les mêmes idées : efficacité, sérénité, légitimité par les urnes, mise en œuvre des directives royales. Mais à mesure que l'unanimisme gagne du terrain, la place laissée au débat s'amenuise. Des voix plus discrètes, parfois issues même des cercles proches du pouvoir, regrettent que le mérite institutionnel soit occulté par la valorisation exclusive d'un homme. «Le changement structurel appartient au domaine réservé de la monarchie», confie un ancien du RNI qui requiert l'anonymat, «et tout ministre, fut-il chef du gouvernement, reste un commis de l'Etat, non un thaumaturge.» Vers un culte de la personnalité ? La situation actuelle laisse entrevoir un scénario de gouvernement fondé moins sur le pluralisme d'idées que sur l'unité autour d'un nom. La tentation du culte du chef, dans une formation politique naguère décrite comme libérale, serait-elle en train de prendre forme ? La question, bien que délicate, mérite d'être posée avec gravité, alors que le Maroc se prépare à traverser des années décisives. Dans un Maroc où seule la monarchie incarne la stabilité, le recentrage d'un parti sur une figure unique, engluée dans plusieurs scandales politiques et économiques, comporte un risque : celui de confondre le service public avec la loyauté personnelle. Le cas de Zakia Driouich en est un exemple éloquent.