L'Académie du Royaume du Maroc a tenu, mercredi à Rabat, une séance solennelle consacrée à l'accueil de cinq éminentes figures intellectuelles, appelées à enrichir par leur savoir l'héritage doctrinal de cette institution fondée en 1977. Ont ainsi été investis Daniel Rivet, Mohamed Kenbib, Mohamed Sghir Janjar, Mohamed Loulichki et Ali Benmakhlouf. Elargissement réfléchi d'un cercle d'érudition Ouvrant la séance, le secrétaire perpétuel Abdeljalil Lahjomri a rappelé que ces admissions témoignent de la volonté persistante de l'Académie de s'entourer d'esprits d'exception, à même de contribuer à la vitalité des débats scientifiques et culturels, dans le respect des exigences méthodologiques les plus rigoureuses. Historien spécialiste du Maghreb colonial, Daniel Rivet a, dans la leçon prononcée à l'occasion de son intronisation en qualité de membre associé, proposé une méditation pénétrante sur la notion d'Europe, intitulée «Être européen malgré tout». Examinant les tensions entre legs coloniaux et aspirations universalistes, il a décrit une Europe en perpétuelle redéfinition, aux contours aussi symboliques que géographiques. Pour lui, «l'universalisme européen ne peut plus être pensé comme un modèle surplombant, mais comme une dynamique de dialogues entre cultures». Ancien professeur aux universités Lumière-Lyon 2 et Paris I Panthéon-Sorbonne, M. Rivet est notamment l'auteur de travaux fondamentaux sur l'histoire du protectorat français au Maroc et les sociétés musulmanes contemporaines. La discipline historique au service de l'intelligibilité du monde Dans une allocution sobrement intitulée «Le métier d'historien», Mohamed Kenbib a interrogé la place de l'Histoire dans l'élaboration des identités collectives. À travers des exemples empruntés tant à l'histoire marocaine qu'aux mutations globales, il a insisté sur la responsabilité des historiens dans la mise en perspective du passé, l'analyse des mémoires conflictuelles et la compréhension de l'altérité à l'ère des technologies numériques. Professeur émérite de l'université Mohammed V de Rabat et docteur d'Etat de Paris I – Sorbonne, M. Kenbib a également enseigné à Princeton, Harvard et Oxford. Ses recherches portent notamment sur les minorités religieuses, les relations diplomatiques et les interactions judéo-musulmanes dans le Maroc contemporain. Réinterroger les finalités éducatives à l'ère algorithmique Le chercheur en sciences sociales Mohamed Sghir Janjar a, pour sa part, consacré son propos aux transformations de l'éducation à l'ère digitale. Dans sa conférence «Penser l'éducation à l'ère du numérique», il a souligné les bouleversements induits par l'intelligence artificielle et la prolifération informationnelle, plaidant pour une reconsidération des finalités de l'institution scolaire dans un monde fragmenté. Président de la Commission de renouvellement des curricula au sein du Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS), M. Janjar est également connu pour ses travaux sur les sociétés civiles et la production intellectuelle dans le monde arabe. Un regard désabusé sur le déséquilibre du multilatéralisme Dans un exposé incisif intitulé «La promesse brisée du multilatéralisme», l'ancien ambassadeur Mohamed Loulichki a décrit les lignes de faille qui affaiblissent les institutions internationales. Entre droit et puissance, il a examiné les usages différenciés des normes, les asymétries persistantes et les incertitudes d'une gouvernance mondiale fracturée. «La légitimité des mécanismes multilatéraux vacille à mesure que s'imposent des logiques d'exception et de rapport de force», a-t-il soutenu. Diplomate chevronné, M. Loulichki fut représentant permanent du Maroc auprès des Nations unies à Genève puis à New York, président du Conseil de sécurité et négociateur de plusieurs instruments du droit international. Il enseigne aujourd'hui à l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) et intervient au Policy Center for the New South (PCNS). Une exigence éthique à la hauteur de la pensée Philosophe, Ali Benmakhlouf a conclu cette session par une méditation sur la nécessité de penser les normes. Dans «Normes logiques et normes éthiques», il a exploré les relations entre vérité et véracité, entre énoncé rationnel et choix moral. «Nos règles de pensée et d'action façonnent notre rapport au monde», a-t-il affirmé, insistant sur l'importance d'une approche anthropologique de la normativité. Professeur à l'UM6P, agrégé de philosophie, M. Benmakhlouf est reconnu pour ses recherches sur la logique, la philosophie arabe et l'éthique appliquée. Membre honoraire de l'Institut universitaire de France, il a été membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et préside aujourd'hui le Centre des études africaines (CEA).