Dans un podcast au ton incisif, la British Broadcasting Corporation (BBC) a mis en cause la responsabilité politique d'Aziz Akhannouch dans le délitement continu du secteur de l'élevage marocain. Celui qui était ministre de l'agriculture pendant quatorze années, avant de prendre la tête du gouvernement en 2021, est accusé d'avoir sacrifié les équilibres structurels du monde rural au profit de logiques court-termistes et clientélistes. L'émission s'appuie notamment sur la crise sans précédent que traverse le cheptel national : une baisse de 38 % du nombre de bovins et d'ovins recensés, confirmée par les services du ministère de l'agriculture Ahmed El Bouari début 2025. La BBC souligne «l'impréparation manifeste du gouvernement face aux effets cumulatifs de six années de sécheresse», et évoque «une politique de substitution par l'importation, dispendieuse pour les finances publiques et inefficace pour les ménages marocains, laquelle défavorise les petits agriculteurs.» Une décision royale inédite face à l'urgence climatique et à la mauvaise gestion chronique Dans ce contexte tendu, le roi Mohammed VI, qui détient le statut de commandeur des croyants au Maroc, a solennellement appelé la population à renoncer au sacrifice du mouton pour l'Aïd al-Adha 2025, prévu début juin. Ce renoncement, inédit depuis 1996, a été annoncé dans un discours royal lu par le ministre des affaires religieuses à la télévision nationale en février. «Notre pays affronte des défis climatiques et économiques qui ont eu pour conséquence une régression substantielle du cheptel», a indiqué le souverain, tout en reconnaissant «l'importance de cette fête sur le plan religieux, familial et social». Estimant que «son accomplissement dans ces conditions difficiles est susceptible de porter préjudice» à une grande partie de la population, «notamment les personnes à revenu limité», le roi a exhorté ses sujets à s'abstenir d'accomplir ce rite pour l'année en cours. Le ministère de l'agriculture a, de son côté, confirmé une baisse historique de 38 % du cheptel, conséquence directe d'un déficit pluviométrique de 53 % par rapport à la moyenne des trois dernières décennies, de carences structurelles et de faiblesses chroniques dans la conduite des affaires agricoles. Il s'agit de la pire sécheresse depuis les années 1980. Un effort fiscal de 13,3 milliards de dirhams sans effet sur les prix Cette analyse sévère rejoint les critiques exprimées au sein même du Parlement sur le pilotage erratique d'Aziz Akhannouch. Un document gouvernemental officiel, rendu public à la suite d'une requête adressée par le groupe du Parti du progrès et du socialisme (PPS) à l'automne 2024, détaille avec une précision implacable le coût budgétaire de ces mesures exceptionnelles. Entre octobre 2022 et décembre 2024, le Trésor public a consenti, au titre des exonérations fiscales liées à l'importation de bétail, une dépense globale évaluée à 13,3 milliards de dirhams. Le nombre total d'importateurs bénéficiaires s'élève à 277 opérateurs, répartis entre les segments bovin et ovin. Nul ne sait le sort définitif de ces fonds colossaux. Concernant les bovins, la suspension du droit d'importation entre 21 octobre 2022 et 31 décembre 2024, pour un quota de 120 000 têtes, a engendré une perte budgétaire de 7,3 milliards de dirhams. À cette mesure s'ajoute l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux mêmes importations, chiffrée à 744 millions de dirhams. Cent trente-trois importateurs ont profité de ces avantages sur la période précitée. Pour les ovins, le droit d'importation a été intégralement pris en charge par l'Etat entre février 2023 et 18 octobre 2024, pour un montant de 3,86 milliards de dirhams. L'exonération de TVA sur la même catégorie de bétail s'élève quant à elle à 1,16 milliard de dirhams. Un second dispositif, couvrant la période allant du 19 octobre 2024 au 31 décembre 2024, a encore occasionné une perte de 15,7 millions de dirhams au titre du droit d'importation, et de 1,6 million de dirhams pour la TVA. Cent quarante-quatre importateurs ont été recensés comme bénéficiaires sur l'ensemble du dispositif. À l'occasion de l'Aïd al-Adha 2024, le gouvernement a en outre accordé un soutien forfaitaire de 500 dirhams par tête pour chaque mouton importé. Le contingent, composé de 474 312 ovins, a représenté à lui seul un engagement budgétaire supplémentaire de 237 millions de dirhams. En dépit de cet effort fiscal hors norme, les prix des viandes rouges comme ceux des bêtes destinées au sacrifice ont poursuivi leur envolée, attisant l'exaspération des foyers. Face à la gravité de la situation, les autorités ont pris la décision inédite d'annuler la fête du sacrifice pour l'année 2025, rompant avec une tradition pluriséculaire. Cette mesure, adossée à un appel explicite du roi Mohammed VI, marque une inflexion sans précédent dans la gestion publique du fait religieux. La BBC relève à cet égard «l'incapacité manifeste du gouvernement à faire prévaloir l'intérêt collectif sur les arrangements particuliers». Dans une précédente déclaration à la presse, Mohamed Nabil Benabdallah, secrétaire général du PPS, a estimé que «le gouvernement s'est enfermé dans une logique de privilèges consentis à une minorité d'importateurs, au détriment de l'éleveur national et du consommateur marocain». Le responsable politique a ajouté que «ces chiffres, issus des propres documents de l'exécutif, méritent un débat parlementaire approfondi et sans complaisance». Les pages 84 et 196 du document intitulé «Données additionnelles demandées par les groupes parlementaires à la Chambre des représentants» constituent, selon les députés du PPS, la preuve irréfutable d'un déséquilibre croissant entre les objectifs proclamés de souveraineté alimentaire et la réalité des arbitrages opérés. Dans ce climat d'exaspération sociale, la suppression du sacrifice rituel, pour la première fois depuis 1996, apparaît comme un aveu d'échec. Un précédent sous le règne du roi Mohammed VI qui pourrait, selon certains analystes, laisser des traces durables sur la légitimité politique d'Aziz Akhannouch. Celui-ci, par ailleurs, a enterré la commission d'enquête réclamée par l'opposition pour se pencher sur ce dossier.