La péninsule de Tanger dévoile un paysage funéraire préhistorique d'envergure transrégionale. Une série de découvertes archéologiques réalisées sur la péninsule de Tanger, à l'extrémité nord-ouest du Maroc, bouleverse les conceptions établies sur la préhistoire du Maghreb. Des fouilles menées dans le cadre des projets Kach Kouch et Tahadart, sous la direction de Hamza Benattia, doctorant en archéologie préhistorique à l'université de Barcelone, mettent au jour un ensemble exceptionnel de sites rituels, funéraires et artistiques, témoignant de relations anciennes entre le monde atlantique, le monde méditerranéen et le monde saharien. Ces recherches ont été conduites en partenariat avec l'Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine (INSAP) et ont mobilisé les méthodes les plus récentes, telles que la télédétection, la modélisation géospatiale ou encore la datation par le radiocarbone. Une présence humaine dense et méconnue Longtemps considérée comme marginale ou inoccupée durant les âges des métaux, la péninsule de Tanger révèle au contraire une occupation continue, riche et structurée, remontant au IIIe millénaire avant notre ère. Des dizaines de nouveaux sites archéologiques ont été répertoriés, depuis les abris ornés jusqu'aux monuments mégalithiques, en passant par des nécropoles de cistes. Parmi les découvertes majeures figure la tombe de Daroua Zaydan, à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Tanger. Ce ciste funéraire — une chambre délimitée par quatre dalles dressées et recouverte d'une pierre de couverture — contenait des ossements humains dont l'un a été daté de 2118 à 1890 av. J.-C. «Il s'agit du premier ciste daté de manière absolue dans tout le nord-ouest africain», précise M. Benattia. Cette structure présente de fortes affinités avec les traditions funéraires observées à la même époque en Ibérie, de l'autre côté du détroit de Gibraltar. Un carrefour symbolique entre Atlantique et Méditerranée Au-delà des pratiques funéraires, les chercheurs ont mis au jour un paysage rituel cohérent, composé de pierres dressées, d'art rupestre et de monuments circulaires. Le site de Mzoura, formé de 176 mégalithes disposés en cercle, s'apparente par sa disposition à certains ensembles d'Europe atlantique, tels que Stonehenge. Des blocs récemment découverts, alignés le long d'anciens axes de circulation, pourraient avoir servi de repères territoriaux ou de lieux de cérémonies. L'art rupestre se distingue par sa diversité et son ampleur : «Nous avons documenté vingt-deux abris ornés, dont dix-sept peints et cinq gravés, dans une région où l'on n'en connaissait jusqu'alors qu'un seul», souligne M. Benattia. Les motifs représentés — figures anthropomorphes, pointillés, compositions géométriques — évoquent un langage symbolique partagé avec l'Ibérie, le Sahara central et le pourtour atlantique. Autre indice d'échanges anciens : une épée de bronze, façonnée probablement dans les îles Britanniques, a été exhumée dès les années 1920 dans le fleuve Loukkos. Son dépôt volontaire en milieu aquatique rappelle des pratiques rituelles attestées dans l'Europe protohistorique. Un patrimoine à préserver d'urgence Ces révélations donnent une nouvelle dimension au rôle de la façade nord-ouest de l'Afrique durant la fin de la préhistoire. «La péninsule de Tanger s'impose comme un point de convergence entre continents, et non comme une marge oubliée», affirment les auteurs de l'étude, publiée dans African Archaeological Review (AAR). Mais cette richesse patrimoniale demeure gravement menacée. L'urbanisation accélérée, la progression du tourisme et les pillages fragilisent chaque jour encore ces sites, dont nombre restent non protégés. M. Benattia plaide pour une reconnaissance institutionnelle renforcée : «Ce territoire doit être appréhendé comme un conservatoire à ciel ouvert de la mémoire préhistorique maghrébine. Il mérite une attention scientifique soutenue et des mesures de sauvegarde immédiates.» Les auteurs espèrent que leurs travaux susciteront de nouvelles campagnes de fouilles, de documentation et de datation, condition sine qua non pour restituer au nord-ouest africain sa juste place dans la trame des civilisations anciennes.