Alors que la cryptomonnaie demeure prohibée au Maroc, les autorités fiscales et monétaires s'emploient à préparer un édifice réglementaire apte à en encadrer, d'ici à 2025, l'usage légal et contrôlé, a appris Barlamane.com de sources proches du dossier. Cette entreprise, portée par la direction générale des impôts (DGI) et Bank al-Maghrib (BAM), repose sur une articulation étroite entre innovation technologique et préservation de l'intégrité du système financier national. Une architecture fiscale différenciée selon les usages Le dispositif en préparation établit des distinctions précises entre les activités relevant des actifs numériques. Les gains en capital réalisés sur les opérations d'échange se verraient imposés selon un barème oscillant entre 15 % et 30 %, dans la lignée du traitement appliqué aux valeurs mobilières. Les revenus issus du minage, du staking ou des attributions gratuites (airdrops) seraient assimilés à des revenus imposables, suivant les tranches progressives de l'impôt sur le revenu — comprises entre 10 % et 38 % —, tandis que les sociétés seraient soumises à des taux variant de 20 % à 31 %. Une tolérance fiscale pourrait être accordée en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), les transactions en cryptomonnaies n'étant pas, à ce stade, considérées comme des opérations génératrices d'assiette taxable. L'administration envisage néanmoins un encadrement strict des modalités de déclaration, à l'aune des normes internationales. Un système de traçabilité imposé aux acteurs économiques Le futur corpus réglementaire, selon nos informations, exigera des opérateurs une rigueur comptable sans faille. La tenue exhaustive de registres de transactions constituera une obligation, tant pour les particuliers que pour les entreprises, dès l'entrée en vigueur du dispositif législatif. La non-déclaration des revenus issus des cryptoactifs donnera lieu à des sanctions pécuniaires, voire à des poursuites judiciaires, conformément au droit fiscal en vigueur. Les entités engagées dans des activités de minage pourraient toutefois bénéficier de déductions spécifiques au titre des charges inhérentes — notamment l'acquisition de matériel informatique et la consommation énergétique —, à condition de pouvoir en justifier la nature professionnelle. En revanche, l'absence de disposition explicite quant à la déductibilité des pertes de change pourrait engendrer une asymétrie fiscale. Flou persistant autour de la finance décentralisée Si les grandes lignes de l'encadrement fiscal se dessinent, plusieurs zones d'ombre subsistent. Aucune directive officielle ne fixe, à ce jour, le traitement fiscal des actifs issus de la finance décentralisée (DeFi) ou des jetons non fongibles (NFTs). Cette incertitude accroît les marges de risque juridique pour les investisseurs, qui sont appelés à suivre avec une extrême vigilance les circulaires de la DGI et les communiqués de BAM. Les autorités n'excluent pas d'instaurer une distinction entre les intervenants occasionnels et les opérateurs professionnels, notamment pour les activités de spéculation ou de revente systématique, dans le but de prévenir toute tentative de contournement fiscal. Une stratégie économique tournée vers l'attractivité technologique Soucieuses de ne pas étouffer les velléités d'innovation, les autorités marocaines envisagent la mise en place de mécanismes incitatifs à destination des jeunes entreprises œuvrant dans le domaine de la blockchain. Ces dispositifs, encore à l'état de réflexion, pourraient prendre la forme d'exonérations temporaires ou d'aménagements fiscaux spécifiques, afin de favoriser l'émergence d'un pôle technologique national. L'objectif affiché est d'asseoir le Maroc comme une place crédible pour le développement encadré des technologies financières. Des prévisions de croissance prudentes mais continues D'après les estimations livrées par le cabinet Aimvest, la valeur projetée du marché marocain des cryptomonnaies pourrait atteindre 278,7 millions de dollars (près de 2,8 milliards de dirhams) d'ici à 2025, et avoisiner les 292,4 millions de dollars (environ 2,94 milliards de dirhams) à l'horizon 2026, soit un taux d'augmentation annuel proche de 4,9 %. Ces projections, bien que modestes, traduisent une dynamique soutenue, à la condition expresse que l'Etat conserve la maîtrise de ce secteur encore fragile. «Le Maroc s'oriente avec prudence vers la reconnaissance encadrée des actifs numériques», observe un analyste fiscal à Rabat, «mais le succès de cette mutation dépendra de la clarté des textes et de leur applicabilité effective». Les investisseurs, quant à eux, sont invités à se préparer dès à présent à l'intégration de ces nouvelles obligations dans leurs stratégies comptables. Le recours à des conseils fiscaux spécialisés devient, dans cette perspective, une précaution élémentaire.