Un rapport du Policy Center for the New South révèle qu'en moins de deux années, la Jama'at Nusrat al-Islam wal Muslimin (JNIM) a instauré un mode de combat sans précédent au Sahel, en conjuguant l'usage de drones commerciaux modifiés à des opérations coordonnées de terrain. Le document, rédigé par Niccola Milnes et Rida Lyammouri, établit que cette organisation liée à Al-Qaïda est devenue le seul groupe armé en Afrique capable de conduire des offensives aériennes répétées sur plusieurs Etats. Un seuil technologique désormais franchi Selon le rapport, la première frappe aérienne de la JNIM, survenue à Bandiagara (Mali) en septembre 2023, fut rapidement suivie par une vingtaine d'attaques confirmées. Depuis mars 2025, plus de 80 % des opérations recensées ont été exécutées, avec une régularité croissante et un raffinement tactique manifeste. Les auteurs relèvent que «le seuil d'entrée technologique semble avoir disparu : des drones de loisir, modifiés à l'aide d'outils accessibles au grand public et d'intelligences artificielles hors ligne, suffisent désormais à mener des frappes d'une létalité préoccupante». Cette mutation opère en parallèle d'une extension géographique : le Mali, le Burkina Faso et le Togo ont été frappés en 2025. À titre d'exemple, l'attaque menée à Djignandjoaga, dans le nord du Togo, le 9 avril dernier, a causé la mort de cinq soldats. Le 12 juin, un drone kamikaze a ciblé le centre de formation de Tiby, blessant plus de trente recrues. Le rôle central du FLA dans la circulation du savoir-faire Le document insiste sur l'apport fondamental du Front de Libération de l'Azawad (FLA), dont les premières expérimentations avec des drones de type VTOL (décollage et atterrissage verticaux) et FPV (vision embarquée) remontent à février 2025. Plusieurs de ses cadres, à l'instar du colonel Hussein Ghulam, auraient rejoint les rangs de la JNIM. Les auteurs estiment que «la circulation des compétences, facilitée par l'intégration de membres issus du FLA, a vraisemblablement permis l'accélération de l'apprentissage technique au sein de la JNIM». Ce transfert s'est accompagné d'une assimilation rapide des méthodes de guerre. Dès le mois de mai, les opérations de la JNIM intégraient le guidage en temps réel par drones ISR (renseignement, surveillance, reconnaissance), la combinaison avec des unités terrestres et la coordination de charges embarquées. À Dioura (Mali), les drones ont été utilisés pour désorganiser la défense, avant que les combattants ne prennent temporairement le contrôle de la localité. Une guerre psychologique par l'image L'usage de ces appareils ne se limite pas aux effets balistiques. Il s'agit également d'un instrument de communication redoutable. Depuis début 2025, la JNIM diffuse régulièrement des enregistrements filmés par drones de ses propres offensives. Selon Milnes et Lyammouri, «ces vidéos empruntent la grammaire visuelle des armées régulières, afin d'imiter leur puissance et de contester leur monopole du ciel». On y observe le survol des cibles, l'instant de la frappe, puis l'agitation des unités adverses. Ce mimétisme, notent les auteurs, confère à la JNIM un pouvoir de projection symbolique bien au-delà du théâtre militaire. «L'usage de drones filmant l'exécution d'opérations violentes vise à imposer une présence, à affirmer une supériorité technique, et à produire un effet de sidération au sein de l'opinion publique locale comme des forces adverses». Un dispositif défensif inadapté face à l'évolution de la menace Face à cette métamorphose du combat irrégulier, les dispositifs existants peinent à s'ajuster. Le rapport avertit que «les contre-mesures actuellement en place n'évoluent pas au même rythme que la menace». L'une des préoccupations majeures tient à l'usage de logiciels libres d'accès, permettant de contourner les systèmes de limitation de vol (géofreins), de programmer des itinéraires complexes hors connexion, et de brouiller les pistes d'attribution. Dans ce contexte, les auteurs appellent à une réponse collective, fondée sur l'anticipation et l'agilité. Ils recommandent la création d'une cellule opérationnelle permanente réunissant officiers du contre-terrorisme, experts en drone, ingénieurs en intelligence artificielle et commandements militaires sahéliens. Cette structure aurait pour mission d'agréger les données issues du terrain, de coordonner les efforts de veille, et de partager les protocoles défensifs entre Etats voisins. «Fermer ces brèches ne dépend pas uniquement de l'armement mais aussi de la capacité à réfléchir ensemble, à expérimenter rapidement et à tirer parti de savoirs endogènes», concluent-ils.