Le gouvernement italien a paraphé le 24 juillet un accord d'un milliard d'euros avec l'Algérie pour l'édification d'un complexe sidérurgique de réduction directe du minerai de fer (DRI) à Annaba, dans le Nord‐Est algérien. Portée par le Plan Mattei, cette entreprise commune italo‐algérienne pourrait bénéficier des garanties publiques de la Société italienne d'assurance‐crédit à l'exportation (SACE). Derrière la rhétorique officielle d'un partenariat «à égalité», le projet fait naître de nombreuses réserves, tant industrielles qu'environnementales et juridiques. Une implantation techniquement discutable Sur le plan technique, l'opération est jugée peu convaincante. L'Algérie ne dispose pas de gisements de minerai de fer de qualité exploitable à grande échelle : la matière première devra être importée, traitée au gaz pour produire du fer pré‐réduit, puis transportée par voie maritime vers l'Italie sous forme de briquettes à chaud (HBI). Ce schéma impose une chaîne logistique disjointe, énergivore et d'un rendement incertain. La société Midrex Technologies, spécialiste de ce procédé, souligne que «le principal intérêt du DRI réside dans la charge à chaud», soit l'utilisation directe du fer réduit, à température encore élevée, dans les fours électriques. «Ce mode opératoire permet une économie d'énergie pouvant atteindre 150 kilowattheures par tonne», précise-t-elle. L'entreprise Tenova, détentrice de la technologie Energiron, confirme que ce bénéfice s'efface dès lors que production et fusion sont physiquement séparées. Le gain environnemental est lui aussi relativisé. La Fédération européenne de l'acier (EUROFER) observe que «la filière longue imposée par l'exportation du HBI efface une part substantielle des gains climatiques supposés». Dès lors, le projet, présenté comme un progrès vers un acier «vert», apparaît en réalité bien moins vertueux. Une zone fragile et un cadre juridique défaillant Le choix du site d'Annaba soulève également des doutes. La région est classée comme «non libre» par l'organisation Freedom House et la Banque mondiale (BM) dénonce une administration parmi les plus opaques du continent. Aucun traité bilatéral de protection des investissements n'a été signé entre Rome et Alger. Malgré cela, des fonds publics italiens sont engagés pour transférer une portion stratégique de la chaîne industrielle vers un environnement institutionnel précaire. Le Parlement n'a pas été consulté. Aucune analyse coûts‐bénéfices n'a été rendue publique. Selon Milano Finanza (édition du 23 juillet), des réserves ont émergé au sein du ministère de l'économie et de celui de l'environnement quant à la solidité de l'ensemble. Le projet semble procéder davantage d'un calcul diplomatique que d'une décision industrielle mûrement pesée, avec des bénéfices circonscrits et des risques dilués. Des solutions nationales écartées sans justification explicite Des configurations plus cohérentes ont pourtant été évoquées dans les milieux techniques et syndicaux : la construction d'un site DRI en Italie, alimenté par le gaz algérien déjà acheminé par gazoduc. Des pôles industriels comme Piombino ou Tarente disposent d'infrastructures adaptées, de main‐d'œuvre expérimentée et se trouvent à proximité immédiate des fours électriques. L'installation resterait sur sol italien, créerait de l'emploi direct et offrirait des effets industriels immédiats. La Fédération de l'acier (Federacciai) s'est publiquement prononcée en faveur de cette perspective. Au lieu de cela, le gouvernement valide la création d'une infrastructure délocalisée, dans un pays classé à haut risque, à l'efficacité incertaine, au bilan écologique atténué, adossée à des garanties publiques et sans contrôle indépendant. «L'Italie assume les risques, mais demeure sans pouvoir sur les modalités», commente une source proche du dossier. «L'Algérie obtient l'usine, les emplois et le savoir‐faire, tandis que l'Italie renonce à construire une véritable chaîne industrielle sur son propre territoire». Le plan Mattei devait, selon les mots de l'exécutif, encourager «une coopération fondée sur l'équité». Dans le cas présent, seule la narration semble équilibrée. Le reste illustre une configuration où «les pertes se socialisent, et les avantages se concentrent». Et cela, sans qu'aucun débat n'ait eu lieu. Pas même en séance parlementaire, a-t-on regretté.