En intégrant les externalités environnementales et sociales, la comptabilité publique devient un levier pour mesurer l'empreinte de l'action publique, garantir la traçabilité des fonds verts et prévenir le greenwashing, tout en renforçant la transparence et la légitimité démocratique. C'est ce qu'ont affirmé samedi des experts à Rabat. La Trésorerie Générale du Royaume (TGR) et l'Association pour la Fondation Internationale de Finances Publiques (FONDAFIP), avec le soutien de la Revue Française de Finances Publiques (RFFP), ont organisé, samedi 22 novembre à Rabat, une conférence sur le thème « Rôle et enjeux de la comptabilité dans le secteur public ». L'événement a réuni un ensemble d'experts marocains et étrangers pour débattre autour de trois axes centraux : les enjeux des normes et standards comptables aux niveaux national et international, la place de la comptabilité dans le développement durable, ainsi que la comptabilité et la prise de décision dans le secteur public. Dans son allocution d'ouverture, le trésorier général du Royaume, Noureddine Bensouda, a souligné que l'objectif de cette conférence consiste à partager les expériences, à confronter les points de vue et à dégager des pistes d'amélioration susceptibles d'enrichir les pratiques et d'éclairer les choix de politique publique. Il a ainsi mis en avant le rôle essentiel de la comptabilité, thème principal de cette conférence, qui est passée d'un simple outil technique d'enregistrement des flux à un véritable instrument stratégique de pilotage et de responsabilisation des gestionnaires publics. « Son rôle à la fois structurel et structurant contribue à améliorer la gouvernance des finances publiques en mettant à disposition des décideurs les données pertinentes pour mieux piloter l'action publique et faire face entre autres aux défis conjoncturels tels que les crises solitaires ou les transitions écologiques. Qu'il s'agisse de la gestion privée ou publique, il est fondamental de disposer de bons comptes pour pouvoir analyser et décider », a-t-il expliqué. Et d'ajouter : « Traditionnellement axé sur une exécution budgétaire avec une logique d'encaissement et de décaissement, la comptabilité publique migre progressivement selon les états un peu partout dans le monde vers une approche patrimoniale et de performance, j'entends par là comptabilité d'exercice et analytique ». Pour Bensouda, cette évolution n'est pas anodine, elle vise in fine à fournir une image fidèle du patrimoine et surtout des engagements de l'état sur le moyen et le long terme, y compris les dettes assimilées et les passifs latents comme les engagements de retraite qui est un sujet d'actualité partout dans le monde. Elle donne aussi une idée précise du coût réel des politiques publiques. Le Trésorier général a ainsi détaillé les trois axes majeurs structurant les réflexions autour de la comptabilité publique. « S'agissant du premier axe, la comptabilité dans le secteur public en droit d'obligation constatée fournit aux acteurs concernés, législateurs, organes de contrôle, investisseurs, agences de notation ou citoyens, l'information nécessaire pour évaluer la pertinence et la performance de l'action de l'Etat et renforcer la responsabilité et la reddition des comptes. Le passage à la comptabilité d'exercice, notamment conforme aux IPSAS ou à leurs équivalents nationaux, permet d'enregistrer les charges et produits lorsqu'ils sont engagés et non plus au moment du décaissement ou de l'encaissement, offrant ainsi une vision patrimoniale, pluriannuelle et plus fiable de la gestion publique », a-t-il précisé. La comptabilité d'exercice, selon lui, fournit une information plus fiable pour évaluer la performance de l'Etat, connaître le patrimoine public, anticiper les engagements et renforcer la transparence et la reddition des comptes. « Le deuxième axe porte sur les enjeux liés aux normes comptables. L'harmonisation internationale, notamment autour des IPSAS, vise à garantir la comparabilité et la transparence, mais implique des défis techniques, institutionnels et culturels au niveau national. L'adoption de ces standards exige de nouvelles compétences, l'adaptation des systèmes d'information et une convergence progressive permettant de tenir compte des spécificités locales tout en renforçant la crédibilité internationale », a noté Bensouda. L'harmonisation comptable internationale améliore la comparabilité et la transparence, mais nécessite une adaptation progressive pour concilier exigences globales et réalités nationales, a-t-il poursuivi. « Le dernier axe concerne la place de la comptabilité dans le développement durable. L'intégration des externalités environnementales et sociales vise à mesurer l'empreinte de l'action publique, malgré la difficulté liée à la fiabilité des données non financières. La comptabilité devient ainsi un outil de pilotage des politiques de durabilité, de traçabilité des fonds verts et de prévention du greenwashing, tout en soutenant la transparence et la légitimité démocratique », a souligné le responsable. En intégrant les enjeux environnementaux et sociaux, la comptabilité devient un levier de pilotage du développement durable, garantissant la traçabilité, la transparence et la crédibilité de l'action publique, a affirmé Bensouda. Pour sa part, le président de FONDAFIP et directeur de la RFFP, Michel Bouvier, a fait savoir que la comptabilité est le reflet de la situation politique, économique, sociale, voire même idéologique traduite en normes qui ne sont que des conventions établies à un moment donné dans un cadre donné. « La comptabilité n'est pas un simple jeu de construction. Elle est un langage et, comme tout langage, elle véhicule certaines valeurs. Les normes et dispositifs comptables expriment aussi la culture d'un pays », a-t-il ajouté. Bouvier a également avancé qu'on est en présence d'une évolution générale qui conduit à une refonte des normes comptables et plus largement de la culture comptable et financière publique. Cette évolution amènera nécessairement le secteur public à être de plus en plus confronté aux incertitudes résultant des aléas des marchés économiques et financiers, mais aussi aux transformations de la planète soumises aux effets du réchauffement climatique ainsi que d'une exploitation sans limite des ressources naturelles. Par conséquent, l'élaboration d'un système comptable ne saurait se réduire à une architecture objective relevant d'une simple logique formelle, a-t-il précisé. Elle demeure indissociable des caractéristiques de son environnement et de sa confrontation avec un contexte marqué par les aléas et les incertitudes liés à la dynamique sociétale actuelle. Selon le président de FONDAFIP, il est désormais urgent de reconnaître que la comptabilité ne peut plus se limiter à la seule prise en compte des enjeux financiers d'une institution. Elle doit engager ce qui s'apparente, sinon à une révolution, du moins à une profonde reformulation de ses normes. Ce processus est déjà enclenché sous l'effet de la mondialisation de l'économie.