Le chef du gouvernement marocain Aziz Akhannouch, également propriétaire du conglomérat Akwa Group, poursuit l'expansion de ses affaires privées, tant au Maroc qu'à l'étranger, à un moment où la population exprime un mécontentement croissant face à l'érosion du pouvoir d'achat, à la flambée des prix et à la dégradation des services publics essentiels. Le site d'information Al-Estiklal a consacré un long dossier à ce qu'il qualifie de «paradoxe éthique», en s'appuyant sur des documents officiels, des rapports parlementaires et des déclarations d'universitaires marocains. Une expansion internationale discrète Selon Jeune Afrique, Akwa Group a obtenu le 18 juin l'autorisation des autorités sénégalaises d'importer des produits pétroliers après plusieurs mois de tractations techniques et administratives. Cette décision intervient dans un contexte de rareté régionale où les marges sont particulièrement élevées. Dès 2021, Afriquia Gaz, principale filiale énergétique d'Akwa, avait conclu un accord avec la société britannique Sound Energy pour l'acquisition d'actifs liés au gaz naturel liquéfié du gisement de Tendrara, dans la région de Figuig. À cette occasion, Al-Estiklal souligne que «les taxes réclamées à Sound Energy ont été partiellement annulées par la Direction générale des impôts.» En octobre 2022, plusieurs publications régionales avaient révélé l'acquisition par Akwa de la filiale mauritanienne du groupe français TotalEnergies, conférant au groupe privé marocain un quasi-monopole sur la distribution de carburants dans ce pays voisin. Profits illicites et absence de régulation Afriquia Gaz contrôlerait, selon Al-Estiklal, 36 % du marché national des carburants, dont 29 % du gazole et 42 % de l'essence super. Cette position, rarement soumise à régulation effective, lui aurait permis d'imposer des hausses tarifaires successives. La même source rappelle qu'un rapport parlementaire de 2018 accusait déjà les distributeurs, notamment Afriquia, «d'avoir réalisé des profits considérables en dehors de tout cadre légal». D'après le syndicaliste Elhoussine Elyamani, ces profits auraient atteint 45 milliards de dirhams au début de l'année 2021. Depuis lors, les revenus du groupe n'ont cessé de croître. Le classement de Forbes publié en janvier 2025 attribue, par ailleurs, à Aziz Akhannouch une fortune personnelle de 1,6 milliard de dollars. Le secteur des hydrocarbures demeure le principal levier de cette accumulation. Monopoles sanitaires et absence de régulation Al-Estiklal affirme que «le secteur de l'oxygène médical est entièrement monopolisé par le chef du gouvernement, via sa société Maghreb Oxygène», qui approvisionne tant les établissements hospitaliers publics que les cliniques privées. Les prix pratiqués seraient, selon la même source, «élevés, opaques et exempts de toute régulation, contrairement aux médicaments». Cette situation, à la croisée des intérêts privés et des responsabilités publiques, a engendré une vive controverse lors de l'appel d'offres relatif à l'usine de dessalement de Casablanca, attribué en 2023 à une société liée au groupe Akwa. Le projet fut présenté comme stratégique, mais plusieurs partis d'opposition dénoncèrent un conflit d'intérêts manifeste. Un modèle oligarchique dénoncé par l'opposition Le politologue Abdessamad Benabbad, spécialiste de la communication politique, déclare à Al-Estiklal : «Depuis 2007, lorsqu'il a intégré le gouvernement, M. Akhannouch n'a jamais dissocié sa fonction publique de ses affaires privées.» Il ajoute que cette confusion «s'est accentuée depuis sa nomination au poste de chef du gouvernement», en dépit des dispositions constitutionnelles énoncées à l'article 36. Le dirigeant du Parti de la justice et du développement (PJD, opposition), Abdelaziz Aftati, voit dans cette situation la marque d'un système prédateur : «Les sources de macro-richesse sont concentrées entre les mains de familles alliées, sous la houlette du centre réel de pouvoir». Il estime que ces cartels «organisent eux-mêmes leurs alliances avec le capital étranger pour en faire un outil de prédation transfrontalière». M. Aftati, sans pourtant remettre en cause les dix années de pouvoir avec le chef du RNI, affirme que «le rachat par M. Akhannouch du réseau Total en Mauritanie illustre cette logique, où l'on confond fonction exécutive et opérations commerciales». Il conclut : «Nous ne sommes plus face à un Etat régulateur, mais à un pouvoir protecteur d'intérêts privés qui étouffe la concurrence, perpétue la pauvreté et aggrave les inégalités sociales.»