L'Afrique a reçu en 2023 moins d'aide publique au développement (APD) que de transferts de sa diaspora, d'investissements étrangers ou de recettes fiscales, révèle un rapport de la Fondation Mo Ibrahim publié jeudi 7 août à l'issue de la rencontre annuelle Ibrahim Governance Weekend, tenue à Marrakech du 1er au 3 juin. Le thème retenu, Financer l'Afrique que nous voulons, a mis en évidence l'essoufflement des bailleurs traditionnels et la nécessité, pour le continent, d'élargir ses ressources propres. D'après les données les plus récentes réunies par la Fondation Mo Ibrahim, l'Afrique a reçu en 2023 un total de 73,6 milliards de dollars d'APD. Ce montant est inférieur aux transferts de fonds issus des diasporas (90,8 milliards), aux investissements directs étrangers de 2024 (97,1 milliards) et, de très loin, aux recettes fiscales du continent (479,7 milliards en 2022). Selon l'analyse du rapport, «l'APD ne représente plus que 9,3 % des quatre principales sources de revenus du continent africain». Le retrait brutal des Etats-Unis Le 20 janvier, jour de son investiture, le président Donald Trump a décrété un gel de 90 jours de l'ensemble de l'aide fédérale. À la date du 7 mai, seuls 891 programmes de l'USAID (United States Agency for International Development) étaient encore actifs sur 6 256, soit à peine 14 %. Leur valeur cumulée est passée de 120 à 69 milliards de dollars. Or, selon la Fondation Mo Ibrahim, «les Etats-Unis ont représenté à eux seuls 20,7 % de l'APD mondiale reçue par l'Afrique en 2023». Allemagne, France, Royaume-Uni : les coupes s'accumulent Les coupes budgétaires touchent également les principaux partenaires européens. L'Allemagne, deuxième bailleur bilatéral après les Etats-Unis, a réduit de 3 milliards d'euros (10,5 %) ses allocations entre 2023 et 2025. La France a inscrit une réduction de 1,2 milliard d'euros en 2025, soit 18,6 % de moins que l'année précédente. Le Royaume-Uni, quant à lui, a ramené ses crédits de 15,3 à 14,3 milliards de livres, soit une diminution de 6,5 %. Depuis son adoption en 1970 par l'ONU, l'objectif pour les pays donateurs de consacrer 0,7 % de leur revenu national brut (RNB) à l'APD n'a été atteint que par une poignée d'entre eux. En 2023, seuls cinq pays du Comité d'aide au développement (CAD) respectaient ce seuil : le Danemark, l'Allemagne, le Luxembourg, la Norvège et la Suède. L'année suivante, l'Allemagne est descendue à 0,67 %, réduisant le groupe des Etats respectant la cible à quatre. La moyenne du CAD est ainsi tombée à 0,33 % en 2024. Les secteurs de la santé et de la gouvernance frappés de plein fouet La Fondation Mo Ibrahim alerte sur les conséquences sectorielles de ces reculs. Selon le Center for Global Development, seuls deux pays africains – le Libéria (2,59 %) et la Somalie (1,03 %) – voient l'APD représenter plus de 1 % de leur RNB. Cependant, «les coupes les plus sévères concernent les secteurs de la santé reproductive (-92 %), de la santé maternelle et infantile (-89 %), des maladies infectieuses (-77 %) et de la gouvernance (-99 %)», précise l'organisation, en s'appuyant sur des données de l'USAID. Entre 2000 et 2022, l'APD reçue par l'Afrique subsaharienne est passée de 2,83 % à 2,95 % de son RNB. Si ce ratio demeure le plus élevé au monde, il reste loin du niveau atteint en 2006 (4,29 %). La Fondation Mo Ibrahim souligne que «le nombre d'Etats africains dont l'APD représente plus de 10 % du RNB est passé de 14 en 2000 à 9 en 2022». L'exception notable demeure les pays en conflit prolongé, tels que le Burundi, le Mozambique, le Niger ou la République centrafricaine, dont les ratios rejoignent ceux de l'Ukraine ou de la Syrie. Alors que l'aide diminue, les dépenses militaires mondiales ont, elles, augmenté de 37 % entre 2015 et 2024. L'Europe affiche une hausse de 83 %, l'Asie de 46 %, l'Amérique de 19 % et l'Afrique de 11 %. La Fondation Mo Ibrahim s'interroge : «Comment justifier un tel écart entre l'atteinte de l'objectif de 0,7 % pour l'aide, et celui de 2 % du PIB pour la défense fixé par l'OTAN ?». En 2023, seuls deux Etats du CAD respectaient encore la norme de l'APD, contre quatorze atteignant ou dépassant le seuil de dépenses militaires.