En plein tumulte du mouvement de la jeunesse de la Gen Z, qui réclame hautement la chute de la corruption, une correspondance datée du 13 octobre, adressée au ministre de la santé et de la protection sociale, vient jeter une ombre sur la probité de la gestion publique. Ce document, enregistré à la Trésorerie générale du Royaume le 14 octobre, demande explicitement «le recours à des marchés négociés en vue de l'exécution de travaux et d'acquisitions d'urgence». Autrement dit, le ministère sollicite la possibilité «de suspendre les procédures classiques de passation des marchés publics» afin de «réhabiliter dans les plus brefs délais les centres hospitaliers et institutions sanitaires du pays». Une correspondance interne datée du 13 octobre, enregistrée à la Trésorerie générale du Royaume le 14 octobre et au ministère de l'économie et des finances le 15, provoque la controverse. Le document, adressé au ministre de la santé et de la protection sociale, Amine Tehraoui, propose explicitement de déroger aux règles de passation des marchés publics pour recourir à des marchés négociés directs dans le cadre d'un vaste programme de réhabilitation de quatre-vingt-dix hôpitaux. La lettre, que Barlamane.com a consultée, plaide pour une procédure exceptionnelle permettant au ministère de signer des contrats sans appel d'offres, en invoquant «l'urgence» et la nécessité d'assurer la continuité des services de santé. Autrement dit, il s'agirait d'écarter les mécanismes prévus par le décret sur les marchés publics, pourtant garants de la transparence et de la concurrence. Le texte justifie cette démarche par la complexité des procédures habituelles et la dégradation du parc hospitalier, mais ne précise ni le calendrier des travaux, ni la liste des établissements concernés, ni les montants alloués à chaque lot. Un contournement des garde-fous administratifs Derrière le langage administratif, la manœuvre soulève de sérieuses questions sur la gouvernance du secteur. En demandant à recourir à des marchés négociés, le ministère ouvre la voie à une distribution discrétionnaire de contrats, sans contrôle préalable ni obligation de publicité. Ce type de procédure, bien que prévu par la loi dans des cas exceptionnels, reste encadré par des conditions strictes que la correspondance n'évoque pas. La lettre mentionne que les projets seront financés sur les crédits du programme d'investissement 154, mais sans aucun détail sur les critères de sélection des entreprises ni sur les montants prévisionnels. Cette absence de transparence alimente les soupçons de favoritisme et de gestion arbitraire. Un département déjà fragilisé par des soupçons de connivence Ce projet intervient à peine quelques jours après la polémique autour de la cartographie nationale de la corruption, une étude commandée à un cabinet privé accusé de conflit d'intérêts. Le ministère, déjà fragilisé par ce précédent, semble persister dans une logique de gestion fermée, où les procédures d'exception deviennent la norme. L'affaire nourrit d'autant plus de réactions qu'elle éclate en pleine période de mobilisation citoyenne, portée notamment par la jeunesse Z, qui exige la fin du clientélisme et de la corruption institutionnelle. Alors que la rue réclame des réformes et la transparence de l'action publique, le ministère de la santé, l'un des plus budgétivores du pays, choisit de contourner la loi au nom de l'urgence. Une urgence qui, pour beaucoup, ressemble moins à une nécessité qu'à une perspective offerte à certains réseaux administratifs et économiques. Derrière les formules convenues et les justifications techniques, se profile une réalité plus dérangeante : celle d'un appareil ministériel qui reproduit les pratiques mêmes que la société marocaine ne cesse de dénoncer.