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L'accord de 1968 paralyse l'éloignement des ressortissants algériens soumis à l'OQTF et exacerbe la crise migratoire, écrit le duo Xavier Driencourt-Fernand Gontier dans le JDD
Un demi-siècle après sa signature, l'accord du 27 décembre 1968 «relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles» engendre une crise multidimensionnelle. Ce traité, qui surplombe le droit commun des étrangers en France, accorde aux Algériens des conditions dérogatoires permettant à un simple visa de court séjour de se muer en sésame pour une installation durable. Xavier Driencourt, ancien ambassadeur à Alger, et Fernand Gontier, ex-directeur central de la police aux frontières (DCPAF), soulignent que ce texte «implique que les Algériens échappent largement aux lois votées par le Parlement». Les juridictions administratives rappellent régulièrement sa primauté normative, fabriquant mécaniquement un «stock de potentiels irréguliers». Des racines postcoloniales aux privilèges intangibles L'origine de cet arrangement remonte aux accords d'Evian de 1962, conçus initialement pour protéger les pieds-noirs demeurés en Algérie après l'indépendance. Leur exode massif de juillet 1962 rendit «obsolete cette clause de libre circulation», selon les termes des experts. Le réajustement négocié en 1968 par Michel Debré et Abdelaziz Bouteflika attribua dès lors aux seuls Algériens des avantages spécifiques, jugés «moins favorables que la liberté de circulation prévue en 1962, mais plus bénéfiques que le droit commun des étrangers». Cette architecture juridique, toujours en vigueur, permet aujourd'hui à tout titulaire d'un visa touristique de s'établir durablement sur le sol français, alimentant un flux continu d'arrivées légales puis de basculements dans l'irrégularité. L'urgence sécuritaire : des drames en série Les conséquences opérationnelles se révèlent catastrophiques. En février 2025, Brahim A., ressortissant algérien de 37 ans sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) et déjà condamné pour apologie du terrorisme, poignarda mortellement un passant et blessa trois policiers à Nancy. Ce même individu, arrivé illégalement en France en 2014, avait perpétré quelques mois plus tôt un assassinat et des tentatives de meurtre sur six personnes au marché de Mulhouse. Interrogé sur ce double drame, le Premier ministre François Bayrou révéla : «L'assassin de Mulhouse, il avait été présenté dix fois aux autorités algériennes pour que son pays d'origine accepte que nous le renvoyions chez lui. Les dix fois, la réponse a été "non"». Dans une interview au Journal du Dimanche des 17-18 août 2025, M. Bayrou enfonce le clou : «L'opinion publique peut faire changer les forces politiques», suggérant une pression citoyenne pour briser l'immobilisme. Les chiffres 2024 illustrent l'ampleur du phénomène : 33 754 interpellations d'Algériens en situation irrégulière (+6% sur un an), représentant 23% du total national, et seulement 2 990 éloignements effectifs – soit un taux d'exécution inférieur à 10%. Pis, 5 159 Algériens furent placés en centres de rétention administrative (31,9% des étrangers retenus), sans possibilité concrète de renvoi. La diplomatie algérienne en posture d'obstruction Alger instrumentalise désormais cet accord comme levier de rétorsion, particulièrement depuis la reconnaissance par Paris de la «marocanité» du Sahara occidental. Les consulats algériens en France «ne fournissent plus de laissez-passer consulaire», tandis qu'aux frontières, «même la détention d'un passeport authentique en cours de validité n'est plus acceptée». M. Gontier, dont le parcours de trente-sept ans à la DCPAF donne autorité à son analyse, constate une «réticence des consuls algériens à favoriser le retour de leurs concitoyens, délinquants ou non». Cette obstruction systématique transforme la présence algérienne en «bombe à retardement» sécuritaire : première nationalité étrangère dans les prisons françaises (20,8% des détenus au 1er janvier 2024), ces individus forment un «stock d'inéloignables» ni régularisables ni expulsables. À l'échelle européenne, l'Algérie constitue la troisième nationalité interpellée (58 165 cas en 2024) et la première sommée de quitter le territoire de l'Union (37 465 sur 453 380), mais la France subit le plus cruellement cette paralysie. Vers une solution de réciprocité ? Face à cette impasse, MM. Driencourt et Gontier préconisent une mesure radicale : «conditionner le flux des arrivants réguliers au nombre des éloignements effectifs». Cette logique de réciprocité impliquerait de restreindre drastiquement l'octroi de visas tant qu'Alger refusera la réadmission de ses ressortissants. Une approche multilatérale au niveau européen semble nécessaire, mais la posture actuelle des autorités algériennes, interprétant l'immigration comme une «arme» de sanction diplomatique, n'offre guère d'espoir à court terme. Comme le souligne amèrement l'étude conjointe des deux experts : «Cette combinaison des facilités offertes par l'accord de 1968 et les impossibilités matérielles de renvoyer les Algériens aboutit à fabriquer volontairement des sans-papiers dangereux pour la sécurité des Français».